Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/233

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gens grossiers qui ne la discernent point, ou avec des opiniâtres qui ne craignent point de la contredire, ou avec des gens malins, et déterminés à ne la pas suivre, il est de la sagesse de temporiser. S’il s’agit d’un petit intérêt ; cédez, et dissimulez.

S’il s’agit d’une chose importante, portez-la aux parents et aux amis de votre partie. Enfin prenez pour arbitres les sages du lieu où vous êtes, et proposez-leur votre différend de bonne foi, et sans user de détours ; on sera forcé de se rendre à la raison, et vous demeurerez victorieux.

Que si content d’avoir le bon droit, vous éclatez en reproches, vous voulez l’emporter de hauteur, les gens grossiers ne seront point instruits, les opiniâtres ne se rendront jamais, les fourbes deviendront encore plus rusés, et enfin vous cesserez d’avoir raison : d’une bonne cause vous en aurez fait une mauvaise.

Vouloir l’emporter sur les autres, et avoir le dessus, c’est le génie de l’homme : cependant il ne fut jamais permis de sacrifier la justice à l’intérêt. Souvent un point d’honneur attire des malheurs très réels. Il est assez ordinaire qu’un homme pour un pied de terre qu’il prétend lui avoir été usurpé, vende plusieurs dizaines d’arpents qu’il consume en frais de procédures.

Un mot qui aura échappé, nous transporte de colère. De là naissent des inimitiés éternelles, qui remplissent les familles de sang et de carnage. Si on avait su se posséder, si l’on avait daigné recevoir un éclaircissement, et écouter des amis communs qui proposaient un accommodement, que d’inquiétudes calmées ! Que de maux évités !

Si de nombreuses familles veulent vivre paisiblement ensemble, il ne suffit pas qu’elles entretiennent une grande conformité de sentiments et d’inclinations ; il faut encore qu’elles évitent la trop grande familiarité, et que chacun y garde le rang que lui donnent son âge et sa condition.

Le proverbe dit : Traverser un homme dans son commerce, c’est comme si l’on donnait la mort à ses parents. Cette expression, toute forte qu’elle est, se trouve véritable, et convient également à ceux qui traversent un mariage, un contrat de société, et généralement tout achat et toute vente. L’exemple suivant justifiera ce que j’avance.

Un pauvre homme, qui ne savait comment passer la fête du nouvel an, sortit de sa maison vers le soir du dernier jour de l’année, cherchant à vendre une cuvette de terre, qui était tout son bien. Il rencontre sur la place deux personnes : l’un d’eux lui en offre un prix raisonnable : l’autre l’empêche de conclure le marché. Ce pauvre homme qui croyait déjà tenir son argent, fut si frappé de voir le marché rompu, qu’il fît un faux pas ; le vase lui tombe des mains, et se brise ; le voilà au désespoir.

A peine eut-il repris ses sens, qu’il court après celui qui avait fait rompre le marché : il l’atteint à la porte de sa maison, et là il fait grand bruit. En se retirant, il aperçoit dans le voisinage des habits exposés au soleil