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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/237

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Vous voulez faire une œuvre utile, faites en sorte qu’elle soit utile au public ; l’intérêt particulier sera traversé. Vous formez un projet qui demande des précautions et des ménagements, communiquez-le à peu de personnes ; si plusieurs en ont connaissance, il échouera.

Une haute réputation est communément attaquée par la calomnie : les ouvrages les plus exquis de l’art périssent d’ordinaire par quelque fâcheux accident.

L’indigence et l’obscurité produisent la vigilance et l’économie ; la vigilance et l’économie produisent les richesses et les honneurs ; les richesses et les honneurs produisent l’orgueil et le luxe ; l’orgueil et le luxe produisent l’impureté et l’oisiveté ; l’impureté et l’oisiveté produisent de nouveau l’indigence et l’obscurité : voilà le cours des révolutions présentes.

Le malheur de la plupart des hommes vient de ce qu’ils se mêlent de trop d’affaires. On voit un homme dans l’opulence et dans l’éclat ; on veut avoir avec lui des rapports familiers, et c’est là souvent ce qui ruine notre fortune. Le grand secret de maintenir une maison, c’est de s’appliquer uniquement à ce qui est de son devoir. A quoi bon s’embarrasser de tant de soins toujours inutiles, et souvent nuisibles ?

Les heureux du siècle exécutent aisément ce qu’ils entreprennent ; et même quoi qu’ils fassent, on le trouve toujours bien fait : l’un d’eux est invité à un festin, s’il se rend trop tôt à la maison, le maître du logis ne laisse pas de le recevoir avec un visage épanoui, témoignant lui savoir bon gré de ce qu’il s’est ainsi hâté ; s’il se fait attendre de la compagnie, on le prévient, en disant que ses grandes affaires l’ont sans doute arrêté. Un homme du commun n’est pas traité de même : s’il arrive tant soit peu avant le temps, on ne se presse pas de venir le recevoir ; s’il vient tant soit peu tard, on rejette son excuse, et on lui reproche d’avoir fait différer le repas ; ainsi est fait le monde.

Vous êtes d’un rang distingué, songez à vous rendre humain et accessible. N’examinez point si les visites qu’on vous rend, ont été précédées de présents : qu’on ait rempli ce devoir, ou qu’on y ait manqué, la politesse exige que vous receviez tout le monde avec un air affable et honnête.

Si vous êtes invité chez un ami, ne faites pas l’homme important, dérobez-vous, même à vos affaires, afin de vous rendre à l’heure marquée, et que ce ne soit pas avec un nombreux cortège de domestiques, qui ne sont bons que pour le faste.

Dans les visites de civilité qu’on se rend à certains jours de l’année, affectez de prévenir vos parents et vos amis qui sont peu à leur aise. Faites réflexion que si ces parents et ces amis refusent votre invitation, c’est souvent parce qu’ils ne peuvent pas paraître avec honneur dans une compagnie, faute d’habits décents ; c’est peut-être pour ne pas gêner les autres qui seraient obligés de leur céder le pas à cause de leur grand âge. C’est encore par la crainte qu’ils ont, que le repas se prolongeant bien avant dans la nuit, ils ne soient embarrassés pour le retour, n’ayant point de valets qui les reconduisent avec des lanternes.