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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/257

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si grande, qu’il porta pendant dix ans la même robe qui était de toile teinte en noir, et la même paire de bottes. Quand il fut fait gouverneur de Tou tcheou, ses fils s’assemblèrent, et lui tinrent ce discours : Nous savons, lui dirent-ils, combien vous êtes désintéressé ; nous n’espérons, ni ne souhaitons aucun revenant-bon de votre charge. Seulement nous faisons réflexion que vous avez de l’âge. Les bois de Tou tcheou sont admirables, si vous vouliez bien penser[1] à l’avenir. Le père, sans répondre rien de précis, parût y avoir consenti. Au bout de quelques années, s’étant démis de son gouvernement, il revint chez lui. Ses fils allèrent fort loin au-devant de lui, et quelqu’un d’eux lui demanda s’il avait pensé à l’avenir, comme ils l’en avaient prié ? L’on m’a dit, répondit-il, en souriant, que le cyprès vaut mieux que le chan[2], qu’en pensez-vous ? C’est donc du cyprès, dit un des fils, dont vous avez fait provision, mon père ? Mes enfants, reprit le vieillard en se moquant d’eux, je vous en apporte de la graine ; semez-la, si vous voulez.


Zèle d’un mandarin pour son peuple.


L’empereur venant visiter les provinces du midi, les officiers des villes où Sa Majesté devait passer, firent de grands préparatifs de chevaux, de chariots, de meubles précieux ; tout se tirait sur les habitants du district, soit en espèces, soit par des contributions, et des taxes en argent. Tsiang, alors gouverneur d’Yang tcheou, délibérant sur ce qu’il avait à faire en cette occasion : Si je fais, dit-il en lui-même, ce que je vois faire aux autres, il faudra nécessairement vexer le peuple ; si je fais autrement, on ne manquera pas de m’en faire un crime ; on dira que je néglige ce qui regarde l’empereur. N’importe, ajouta-t-il, ce dernier parti est le meilleur. J’en souffrirai seul ; au lieu qu’en prenant l’autre, c’est le peuple qui en souffrira. Il se contenta donc de pourvoir avec soin au nécessaire, sans magnificence, ni superflu, veillant cependant à tout lui-même en personne, vêtu de toile, mais ayant néanmoins la ceinture dorée, marque de sa dignité.

Les officiers de la cour n’étant pas contents, il eut à essuyer bien des reproches ; mais il les soutint avec confiance et sans émotion. Un jour l’empereur se divertissant à la pêche, prit une fort belle carpe. A qui vendrai-je, dit-il en riant, un si beau poisson ? Les courtisans qui en voulaient à Tsiang, répondirent qu’il n’y avait que le gouverneur de Yang-tcheou, qui pût l’acheter. Qu’on le lui remette, dit l’empereur. On le lui remit, en lui disant que l’empereur qui l’avait pris, en attendait de lui le prix. Tsiang s’en va dans sa maison, prend le peu que sa femme avait d’ornements d’argent à la tête et sur ses habits, revient aussitôt vers l’empereur, et se prosternant, selon la coutume : « Grand empereur, dit-il,

  1. Ils lui insinuaient ainsi de se pourvoir de beau bois pour son cercueil. C'est de quoi les Chinois sont curieux.
  2. Espèce de bois.