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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/258

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ce poisson vaut de l’argent ; je n’en ai pas d’autre pour le payer, que ce peu d’ornements qu’avait ma femme : je les apporte, et m’offre à mourir. » L’empereur concevant alors ce qu’avaient prétendu les courtisans : « Pourquoi chagriner ainsi, leur dit-il, ce pauvre officier ? Qu’on le laisse en paix, et qu’il s’en retourne. »


Exemple d’un mandarin désintéressé.


Sou kiong fut six ans gouverneur à Tsin ho, sans recevoir aucun présent de ceux qu’on lui offrit en diverses occasions selon la coutume[1]. Enfin un homme d’âge et de considération, voyant qu’il refusait tout ce qui était de quelque valeur, lui fit présent de quelques citrouilles de son jardin, et le pressa si fort de les accepter, qu’il ne pût pas s’en défendre. Il les reçut donc ; mais il les fit ranger sur les poutres d’une salle, où il les laissa sécher sans y toucher. Cependant, comme il n’avait pas accoutumé de rien recevoir de personne, dès qu’il eût reçu ces citrouilles, le bruit s’en répandit dans tout le quartier ; et à la première occasion qui se présenta, chacun s’empressa de lui faire présent de quelques fruits, ou de quelques légumes de son jardin. Plusieurs se joignirent ensemble, chacun faisant porter ce qu’il avait : mais lorsqu’ils furent entrés dans la salle, ils virent les citrouilles en question bien rangées sur une poutre, et déjà toutes fanées, sans qu’il en manquât une seule. Ils se regardèrent les uns les autres, et prirent le parti de s’en retourner.


Autre exemple.


Tsao tchi tsong était magistrat d’une ville du troisième ordre. Toutes les fois que son devoir l’obligeait d’aller à la capitale de la province, il montait une fort petite barque qui lui[2] appartenait. Il en tenait lui-même le gouvernail, et deux de ses gens ramaient. Quand cette barque fut si vieille, qu’elle ne put plus servir, le gouverneur du pays son supérieur, fit faire une barque pour la lui donner. Un fameux lettré, grand dans l’empire, et ami du gouverneur, passant par là, mit une inscription de sa main sur cette barque. L’inscription avait double sens. L’un pouvait être : quand les planches de cette barque seront aussi minces que la couverture d’un[3] livre, il sera temps de penser à la réparer. C’était dire qu’elle était très bonne, et louer celui qui l’avait

  1. Les occasions où l’inférieur fait des présents à son supérieur, et l’ami à son ami, sont principalement au nouvel an, au jour de la naissance, au cinquième de la cinquième lune, au quinzième de la première lune, quand il marie son fils ou sa fille, quand il meurt quelqu’un chez lui, quand il part pour un long voyage, etc.
  2. Aujourd’hui c’est une corvée pour les bateliers de conduire les mandarins et leurs gens.
  3. La couverture des livres chinois est une simple feuille de papier blanc, couvert d’une étoffe mince et légère, ou d’une autre feuille de papier, peinte en quelque couleur.