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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/264

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une somme d’argent à Tou mong hiuen, son fils aîné, qui était chargé de l’administration des biens. Ce débiteur n’ayant pas de quoi payer, et ne voyant pas quand il en aurait, pria ce fils aîné d’accepter en payement une maison et un bout de terrain propre à des sépultures, et lui en apporta les contrats. Le fils aîné s’en défendit : « Mon voisin, lui dit-il, ce que vous proposez n’est pas juste ; je ne prendrai point vos contrats ; ils portent plus qu’il ne m’est dû. Si c’est que vous voulez en effet, vendre cette maison et ce terrain, en faisant entrer en payement ce que vous me devez, je dois vous payer ce qu’il y a de plus dans l’ancien contrat. »

Je vous suis obligé, dit le débiteur, de cette bonne volonté. Mais pour y répondre, je vous dirai que cette maison et ce terrain ne valent que la somme que je vous dois. On a exprimé davantage dans le contrat ; vous savez que quelquefois on a des raisons d’en user ainsi : mais réellement ce que je vous dois est justement la somme que j’en ai payée. Le créancier charmé de la bonne foi de son débiteur, et se piquant de générosité : Si vous, lui dit-il, qui êtes un homme sans étude, vous poussez si loin la bonne foi et l’équité, je puis bien, moi, qui ai tant lu de livres, pousser la libéralité jusqu’à ce surplus que votre contrat exprime. Tenez, le voilà ; je vous le donne. Le voisin alors le reçut avec bien des actions de grâces.

Quand Tou le père, qui était alors absent, fut de retour, ce voisin vint lui rendre compte de la générosité avec laquelle en avait usé son fils, et lui en témoigner sa reconnaissance. Le vieillard apprenant de ce voisin qu’il avait vendu sa maison, témoigna de la surprise et de l’émotion. Comment, dit-il, mon fils a pris votre maison en payement ? Où logerez-vous ? Monsieur, répondit le voisin, je pense à aller demeurer en tel endroit. Aussitôt le vieillard appelant son fils : Rendez à cet homme ses contrats, lui dit-il : qu’on entoure son petit terrain d’une haie ; et veillez à ce que les domestiques ne chagrinent pas ce voisin, sous prétexte qu’il nous doit.


Autre exemple.


Sous la dynastie Ming, Tong pou, envoyé de la cour, passa par Kiang poan ; un kiu gin[1] du pays l’envoya saluer par un de ses gens avec un billet ordinaire. Tong fit venir le domestique du kiu gin en sa présence, et lui demanda à quoi s’occupait son maître qui menait une vie si retirée : Monsieur, dit aussitôt le domestique, l’année a été fort mauvaise en ces quartiers : les chemins sont pleins de gens morts de faim. Mon maître loue chaque jour un certain nombre de gens pour recueillir et inhumer les corps de ces pauvres malheureux. Il a déjà procuré la sépulture à plus de mille. Tong parût fort touché de ce récit : il ne laissa pas de continuer à interroger le domestique. Le nombre des morts étant si grand, il faut

  1. Degré de littérature.