Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/266

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d’autrui. Ce cruel met aux biens d’un homme, que la nécessité presse, à peu près le prix qu’il veut. Le contrat passé, c’est beaucoup s’il paye sur-le-champ la moitié du prix. Il remet le reste du payement à certains termes ; et s’il voit quelque chose dont le pauvre vendeur ait grand besoin, il est attentif à le lui donner en payement ; mais c’est toujours à un prix beaucoup au-dessus du prix raisonnable. Ainsi le pauvre vendeur ne touchant rien que par parties, quand il vient compter avec ce riche, il trouve qu’il a plutôt dépensé le prix de ses biens, qu’il ne l’a touché. Vouloir entrer en composition, et demander de la modération sur le prix de certaines choses, cela est fort inutile. Encore trop heureux, si la nécessité où il s’est trouvé d’acheter les biens de ce pauvre homme, n’est pas pour l’acheteur une raison de rompre avec lui tout commerce, et de le traiter en ennemi. Du moins est-il sûr qu’il s’applaudit de se voir possesseur de ces biens, sans qu’il lui en coûte qu’environ la moitié de ce qu’ils valent. Cela s’appelle avoir de l’industrie et entendre ses affaires. Il ne fait pas attention, l’aveugle qu’il est, à la conduite ordinaire du Ciel, qui se plaît à rendre à chacun ce qu’il mérite. Son injuste cruauté ne sera point impunie : il en portera peut-être lui-même la peine ; sinon elle tombera sur ses descendants.


Charité désintéressée


Leou y originaire de Vou yn, avait l’âme fort charitable : il en donna de fréquentes preuves dans sa vie ; je n’en rapporterai que deux ou trois. Tchang ki li allant à la cour, et conduisant le corps de son père qui était mort en province, trouva sur la route auprès de Vou yn des glaces en quantité. Le chariot qui portait le corps de son père, versa, et fut mis en pièces. Comme il n’avait point là de connaissance, il envoya chez celui du lieu dont la maison avait le plus d’apparence, demander un chariot à emprunter, pour continuer son voyage. Leou y fut celui à qui on s’adressa. Il donna sur-le-champ un chariot, sans s’informer quel était celui qui le demandait, et sans vouloir se nommer lui-même au domestique, qui était venu en faire la demande pour son maître. Tchang n’eut pas plus tôt fait les obsèques de son père qu’il renvoya un domestique à Vou yn conduire le chariot, et remercier celui qui lui avait aidé si à propos à s’acquitter de ses devoirs de fils. Leou ayant aperçu d’assez loin ce chariot, ferma sa porte. Il ne reçut ni chariot ni remerciement ; mais il fit dire au domestique qu’apparemment il se trompait, et le prenait pour un autre.


Autre exemple.


Ce même Leou y revenant un jour de Tchin leou, dont il venait de quitter le gouvernement, rencontra sur la route un pauvre lettré qui venait de mourir assez subitement, et dont le corps était sur le bord du chemin. Le gouvernement qu’avait Leou, bien loin de l’enrichir, n’avait servi qu’à le rendre plus pauvre, tant il était désintéressé et charitable.