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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/267

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Se trouvant donc alors sans argent, il quitta ce qu’il avait de meilleurs habits, pour en revêtir le mort, selon la coutume ; et vendant le cheval qu’il montait, il monta un bœuf. Il n’eut pas fait deux journées de chemin, qu’il se présenta à lui un pauvre homme prêt à expirer de faim et de misère. Sur le champ il descendit, et fit tuer son bœuf pour secourir ce malheureux. Ses gens lui disant qu’il poussait trop loin la compassion : Vous vous trompez, leur répondit-il ; voir son prochain dans la misère, et ne pas le secourir, c’est n’avoir ni cœur ni vertu. Il continua ainsi sa route à pied, et presque sans rien manger.


Présence d’esprit charitable.


Un jour Ou pan revenant d’un petit voyage, et prêt d’arriver à sa porte, aperçut un homme qui volait des châtaignes dans son parc. Il rebrousse aussitôt chemin, et prend un détour de demie lieue. Quand il fut de retour à la maison, le domestique qui l’avait accompagné, prit la liberté de lui demander la cause de ce détour : C’est, dit-il, que j’ai aperçu dans mon parc un homme dans un châtaigner, qui volait de mes châtaignes : j’ai rebroussé chemin, afin qu’il ne me vît pas. Car s’il m’avait aperçu, une subite peur aurait pu le faire tomber. Peut-être en tombant se serait-il grièvement blessé. Ce qu’il m’a volé, valait-il la peine de l’exposer à ce danger ?


Maximes de morale.


Su ma kuang s’entretenant un jour avec Tchao yong, lui dit : Le désintéressement, la droiture, et la force, sont trois vertus, qui ne se trouvent guère ensemble dans un seul homme : je les ai vues cependant toutes trois dans un tel ; c’était un grand homme. Permettez-moi de vous dire, reprit Tchao yong, que la réunion de ces trois vertus n’est pas si rare : ce n’est pas ce qu’il y a de plus difficile ; et les avoir possédées toutes trois ensemble, n’est pas, à mon sens, le plus bel endroit de la personne que vous nommez. Avoir un parfait désintéressement sans le moindre orgueil, une droiture de cœur inflexible, sans cependant choquer personne, beaucoup de force et de bravoure, sans manquer de douceur et de politesse, voilà ce qui est rare et difficile, et c’est ce que nous avons admiré dans le grand homme dont vous faites l’éloge.

Lorsque je vois quelqu’un à qui il est arrivé quelque méchante affaire, et qui n’a pas de quoi s’en relever, ou bien quelqu’autre que l’indigence fait beaucoup souffrir, quand je n’aurais pas de superflu, je l’assiste, et je crois devoir le secourir suivant mes forces ; et cela avec d’autant plus de soin et d’empressement, que cet homme est moins importun, soit par la difficulté de m’approcher pour m’exposer sa misère, soit par pudeur et par réserve. Mais pour ce qui est de ces gueux de profession, qui font trafic d’un bâton et d’une besace, qui vont de ville en ville, et de maison en maison, répétant des plaintes et des lamentations étudiées, qui s’applaudissent