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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/271

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que pour le mal, quel nom peut-on plus justement lui donner, que celui de tyrannique destructeur des œuvres du Ciel ?


Compassion pour un pauvre.


Kou fang tchou s’étant levé une nuit par hasard, vit de sa cour dans son jardin un homme monté sur un arbre où il volait des fruits. Quel est cet homme-là, dit-il tout haut ? Le voleur qui l’entendit, saisi de frayeur, tomba de haut en bas, et s’incommoda. Kou l’alla joindre aussitôt, et reconnut que c’était le fils d’un de ses voisins. Je sais, lui dit-il, en le rassurant, que vous êtes pauvre : la nécessité fait faire bien des choses. Ce que vous me voliez n’était rien. Je suis bien fâché que vous ayez ainsi pris la peur ; faites effort pour vous retirer chez vous, demain j’aurai soin de vous procurer quelque secours. En effet il lui donna du grain et quelque argent, mais en grand secret, et sans en rien dire dans la maison. Quand cet homme fut bien guéri de sa chute, un jour Kou assemblant ses fils et ses neveux : Mes enfants, leur dit-il, vous avez maintenant raisonnablement de quoi vivre ; il faut que chacun de vous s’applique et apprenne à le conserver ; cela ne se fait point sans peine ; mais c’est une peine qu’il faut prendre, sans quoi on se trouve bientôt dans l’indigence, et la misère porte souvent à de grandes bassesses. Je pourrais vous en citer des exemples, sans les aller chercher bien loin : sur quoi il leur raconta l’aventure de son voleur. Chacun demandant qui c’était, le vieillard les en reprit. Pensez, leur ajouta-t-il, à profiter de la leçon que je vous fais ; c’est de quoi il est question. Que servirait pour votre instruction, que vous connussiez l’homme dont il s’agit ?


Misère soulagée.


Un homme du territoire de Sin kien souffrant depuis longtemps les rigueurs d’une affreuse pauvreté, se trouva enfin réduit à trois fan[1] d’assez bas argent, sans savoir où donner de la tête quand ils seraient dépensés ; lui et sa femme au désespoir, achetèrent pour deux fan de riz, et pour un d’arsenic, résolus de mêler l’un avec l’autre, et de mettre par là fin à leur misère. Le riz était presque cuit, et l’arsenic venait d’y être mêlé, lorsque tout à coup un des surveillants de ce canton entra dans leur maison. Il venait de loin à jeun ; il avait faim ; et pressé d’aller ailleurs, il demandait vite un peu de riz. Comme on lui dit qu’il n’y en avait point, il avança la tête vers le fourneau, et en vit qui était prêt d’être servi. Il se plaignit amèrement de ce qu’on avait eu recours au mensonge, pour lui refuser si peu de chose. Alors le maître du logis remuant doucement la main ; Je n’ai garde, lui dit-il, de vous donner de ce riz à manger, et il lui en ajouta la raison fondant en larmes.

À ces paroles le surveillant prend le bassin, jette promptement le riz

  1. Un fan est la centième partie d'une once.