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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/305

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trouver un lieu de repos. Ils ont tort, ils n’en manquent pas. Mais de quoi ils devraient gémir, c’est d’avoir un cœur si ennemi du repos qu’il cherche.

D’autres se plaignent de n’avoir pas assez de bien. Ils devraient plutôt se plaindre à leur propre cœur, de ce qu’il n’est pas content des choses qui suffisent.

Que faut-il à l’homme, par exemple, en matière d’habits ? De quoi se couvrir avec bienséance, et se défendre des injures de l’air. Cependant tel qui porte une fourrure de plus de mille écus, n’en est pas encore content. Il ne fait pas réflexion que la caille, à bien moins de frais, est tout aussi chaudement que lui.

Que faut-il à l’homme en fait de nourriture ? Quelques aliments convenables en quantité suffisante suivant la capacité de l’estomac. Cependant tel à qui l’on sert tous les jours quantité de mets exquis dans des vases de grand prix, n’est pas content : il ne s’en prendrait qu’à lui-même, s’il voulait faire attention, que tel autre qui mange sur une natte, et boit dans une moitié de calebasse, après un repas modique, est plus content que lui.

Que faut-il à l’homme pour se loger ? De quoi se mettre à couvert des vents, des pluies, et des autres incommodités de chaque saison. Cependant tel dans une maison vaste, superbement exhaussée, et dont il a fait à grands frais lambrisser toutes les murailles, ne se trouve pas encore bien logé. Il saurait à qui s’en prendre, s’il voulait voir qu’en son voisinage, tel autre est content d’une maison si pauvre et si simple, que la porte en est suspendue sur deux bouts de corde qui lui tiennent lieu de gonds.

Non, ce n’est qu’à soi-même, que l’homme doit s’en prendre, s’il n’est pas content ; c’est qu’il occupe follement son esprit de mille vaines pensées, et abandonne encore plus lâchement son cœur à tous ses mouvements. Il cherche dans l’espace d’une vie aussi courte qu’est la sienne, à satisfaire des désirs insatiables. Le moyen qu’il soit content ! Un mois passe ; un autre vient ; l’année finit, puis recommence. Cet homme persévère dans un si funeste aveuglement. Qu’y a-t-il de plus déplorable !

Se tirer le sang des veines pour en teindre son habit, ce serait, dit Ouang tch’ing yu, un insigne trait de folie. En est-ce un moindre, ajoute-t-il, d’étouffer la raison et l’équité naturelle que l’on a reçus du Ciel, pour réussir dans quelque affaire ? Non sans doute : d’autant plus qu’il arrive pour l’ordinaire, qu’on n’obtient point par cette voie ce qu’on prétendait, que souvent le succès est funeste ou imaginaire, et que la perte est toujours réelle. Que s’il y a en effet quelques occasions, où l’on ne puisse obtenir ce qu’on prétend que par cette voie, ne vaut-il pas mieux souffrir toute autre perte, que de sacrifier à ses passions les lumières de sa raison ?

Quel est le pays ou le lieu que l’on ne puisse pas trouver agréable, si l’on veut ? Un petit parterre de fleurs peut me tenir lieu de la fameuse Vallée d’or[1] ; un petit ruisseau est pour moi la Fontaine des jeunes pêchers.

  1. On ne sait ce que c'est que cette Vallée d'Or, et cette Fontaine des jeunes pêchers.