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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/307

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broderie enrichi de diamants de prix, c’est toujours dormir. Avoir une porte vernissée[1] en rouge et des paravents de couleur jaune[2], ou bien une porte simple, et des paravents de nattes serrées, c’est à peu près la même chose. Pauvre, riche, noble, roturier, l’élévation ou la bassesse, l’éclat ou l’obscurité ; tout cela est assez indifférent, et se peut regarder du même œil.


Sur le dénuement que cause la mort.


Eussiez-vous dix mille arpents de terres, quand la mort arrive, ils cessent aussitôt d’être en votre disposition. Eussiez-vous nombre de fils et de petits-fils, aucun d’entr’eux ne peut mourir en votre place. Ils peuvent bien dresser devant votre tablette grande abondance de plats bien garnis ; mais vous n’en sauriez venir goûter : et votre maison regorgeât-elle d’argent, et d’autres richesses, vous ne pouvez en rien emporter.


Folie de l’avarice.


Certain bonze riche et avare avait fait amas de plusieurs bijoux, qu’il gardait avec grand soin. Un autre bonze plus ancien le pria de les lui montrer. Après les avoir vus quelque temps : Je vous remercie de vos bijoux, dit-il à celui qui les lui montrait. Pourquoi me remercier de mes bijoux ? reprit l’autre, je ne vous les donne pas. J’ai eu le plaisir de les voir, dit l’ancien bonze ; c’est aussi tout le profit que vous en tirez, et vous n’avez par-dessus moi que la peine et le soin de les garder : cette différence est peu de chose, et je ne vous l’envie point.


Incertitude de la mort.


Un jour certain bonze inférieur vint apporter à ce même ancien bonze dont j’ai parlé, un repas tout préparé, et le pria de vouloir bien venir le lendemain en prendre un autre à sa bonzerie. L’ancien bonze reçut le repas qu’on lui avait apporté : pour l’invitation, il ne l’admit point. L’autre pressant et représentant que c’était une chose ordinaire, même entre les bonzes, de s’inviter les uns les autres : Fort bien, reprit le maître-bonze ; mais c’est pour demain que vous m’invitez. Que sais-je s’il y aura un demain pour moi ?

Dans certain quartier de la lune, quand cet astre se couchant, le ciel rentre dans les ténèbres, il est prêt de recevoir une bien plus vive lumière par le lever du soleil. Cette mort est comme un passage à la vie. Il en est à peu près ainsi de l’homme vertueux et vraiment sage. Ses lumières n’en sont que plus vives et plus éclatantes après une obscurité

  1. Distinction des Colao ou ministres d'État.
  2. C'est la couleur de l'empereur et de ses gens.