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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/314

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Maxime.


Vous voulez avant que d’être vieux, jouir des douceurs[1] de la vieillesse, vous aurez peine à devenir vieux. Vous vivez en grand seigneur, avant que de l’être ; vous ne le deviendrez jamais.


Réflexions sur le luxe et l’indolence.


Feu mon père, dit Nan, porta dix ans un même habit, le faisant toujours raccommoder, tandis qu’il fut possible de le faire. Quoiqu’avancé dans les charges, il se versait lui-même à boire, et en versait aux hôtes qui lui venaient. Que nos lettrés d’aujourd’hui sont différents ! Ceux même qui de la plus basse naissance sont parvenus aux honneurs, ne sont pas plutôt entrés dans les charges, qu’ils font un étrange abus des biens du Ciel. Rien de plus brillant que leurs habits, même dans leur domestique et aux jours les plus ordinaires ; à plus forte raison, quand il faut paraître en cérémonie, rien d’assez riche. Ce luxe enfin va si loin, qu’il y a du raffinement jusque dans leurs peignes[2] et leurs chaussons. Ils se font servir dans les moindres choses par des esclaves ; encore les veulent-ils jeunes et bien tournés. Enfin l’on dirait qu’ils ignorent de quel usage sont les mains ; car ils ne s’en servent point. Vivre ainsi dans le luxe, et dans l’indolence, est-ce le moyen de s’avancer et de se faire un grand nom ? Il s’en faut bien. C’est le moyen d’abréger même sa vie.


Louable épargne.


Que ce mot Kien est un beau mot ! Qu’il renferme d’avantages ! En épargnant à propos, on se peut aisément passer d’autrui ; on affaiblit la cupidité ; ce sont déjà de grands pas vers la vertu. L’amour de l’épargne, s’il est bien réglé, fait mener une vie frugale, et à proportion qu’on diminue les besoins du corps, on est plus en état de nourrir l’esprit. Plus on sait se contenter de peu, plus il est facile de vivre dans ce désintéressement, qu’on estime tant, et qui est si rare. Enfin, plus on se retranche au commencement, plus on réserve pour la suite, et bientôt l’on se trouve dans l’abondance.


Sur le luxe et l’abus qu’on fait des richesses.


Chaque jour dans l’empire le nombre des bouches augmente. Par exemple, dans ma famille, dit Tchin, depuis un peu moins de trois-cents

  1. C’est-à-dire, boire, manger, se reposer sans s’embarrasser de rien, les enfants étant chargés de procurer à leurs parents vieux toutes les douceurs possibles.
  2. Sous les Tartares les hommes ont la tête presque entièrement rasée. Cela n’était pas sous la dynastie précédente : ils se coiffaient en cheveux.