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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/326

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Sur les grands parleurs.


Quels sont ordinairement les grands parleurs ? Des demi-savants, des flatteurs, ou des étourdis. Les gens d’une grande capacité, d’une droiture à l’épreuve, et d’une sagesse profonde, parlent ordinairement fort peu. Jusques là que le philosophe Tchin ne fait pas difficulté de dire, que plus on avance en vertu, moins on parle.

Le tan[1] vit d’air et de rosée. Peut-on vivre à moins de frais, et se contenter plus aisément ? Malgré cette espèce d’indépendance, il devient la proie des tang lang[2], et son cri en est la cause. Apprenez de là, gens de lettres, que le désintéressement et la frugalité dont vous vous piquez, ne doit pas vous inspirer trop de liberté dans vos paroles.


Discrétion et réserve dans les paroles.


Il faut toujours veiller avec soin sur vos paroles ; mais c’est surtout dans un transport de joie, lorsque vous vous trouvez avec un homme qui est de votre goût, ou dans une conversation dont la matière vous agrée, qu’il faut être extrêmement sur vos gardes.

Vous n’avez rien eu jusqu’ici à démêler avec un tel : quand il vous échapperait de lui dire en face quelque parole désobligeante, s’il est honnête homme, il la dissimule. Un tel, au contraire, est votre ennemi ; il vous en veut, et croit vrai ou faux que vous lui en voulez. S’il vous échappe, même en son absence, quelque mot qui lui revienne, comptez qu’il le percera au vif, et qu’il se l’imprimera très profondément[3].


Utilité des bons exemples.


Porter au bien par de bons discours ceux avec lesquels nous vivons, faire passer ces exhortations aux siècles futurs dans de bons livres, cela est bon ; mais il n’y a rien de tel, à mon avis, que de donner bon exemple. Les bons discours et les bons livres sont des remèdes qui ont leur prix, et qui font honneur à celui qui les emploie pour guérir les hommes de leurs vices ; mais il me semble après tout, que le bon exemple va plus droit au mal, et qu’il est plus efficace. Du moins ne doit-on pas le négliger, pour s’en tenir aux deux autres.


Contre l’intempérance de la langue.


On aime à entendre le fong hoang ; son chant est, dit-on, beau et de bon augure. Cependant s’il chante tout le jour, il n’a plus rien d’agréable. Le hurlement du tigre est affreux ; mais s’il hurle tout un jour, on

  1. Nom d'un insecte.
  2. Autres insectes.
  3. Le Chinois dit, dans les os.