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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/329

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voit plus en lui ce qu’il y voyait : il n’a plus les yeux ouverts que sur ses défauts ; ce fils cependant est toujours le même.

Un homme est bien fait et nous revient : vous diriez qu’il laisse après lui partout où il passe une bonne odeur : on aime à le suivre et à se trouver où il a accoutumé d’aller : ne le vit-on qu’en passant, on se le rappelle ensuite avec plaisir. Un autre est mal tourné et d’une figure désagréable ; vous diriez qu’il infecte tout par sa présence : on n’aime point à se trouver où il est, à s’asseoir où il s’est assis, à coucher où il a couché : il n’y a pas jusqu’à la vaisselle qu’on lui aura vu servir une fois, dont on a de l’aversion. Que fait à tout cela, je vous prie, la bonne ou mauvaise mine ?

Les hommes, et plus communément encore les femmes, se piquent d’avoir la peau blanche ; jusque là qu’on en vient à se farder : et par une bizarrerie assez ridicule, on craint si fort d’avoir les cheveux blancs et la barbe blanche, qu’on se gêne à les teindre en noir.

Un officier considérable est venu chez moi, j’en tire aussitôt vanité. Sur quoi fondée ? Qu’est-il demeuré chez moi de sa dignité ? Au contraire, si je suis grand officier, je rougis d’admettre les petits en ma présence : d’où vient cela ? Mon emploi n’est-il pas toujours le même ? Que me laissent-ils du leur ?

L’oiseau ho et l’oiseau hou se ressemblent fort : les met-on en broderie ? L’on trouve l’un beau et l’autre ridicule. Un plat de légumes est présenté par un homme riche ; c’en est assez pour le trouver bon : s’il venait de chez un pauvre, il ne vaudrait rien. Purs préjugés ! L’ordure est toujours ordure.

Cependant quand une passion vous possède, vous n’êtes point rebuté de ce qui vous ferait horreur en un autre temps : et tel qui est très sensible à la piqûre d’un moucheron, ne craint ni le fer ni le feu, quand l’intérêt ou la volupté l’enivrent. Quel aveuglement !

Il vous naît un fils et une fille ; vous êtes père de l’un comme de l’autre : vous aimez ce fils comme vous-même, et vous vous souciez peu de la fille : quelle injustice !

Voyez certains amis de débauche, ils se traitent en frères ; tout est commun entr’eux. Au contraire voyez certains frères lorsqu’ils entrent en partage ; ils se disputent jusqu’à la moindre bagatelle ; ils se traitent en ennemis, et très souvent ils le deviennent. Quel étrange renversement !

Tel homme dans une boutade poussera la douceur et la compassion, jusqu’à se faire une peine extrême de voir mourir ou souffrir un petit oiseau : et dans une autre boutade, ce même homme ira jusqu’à battre cruellement, et quelquefois même à tuer froidement ses propres enfants.

Enfin, aime-t-on quelqu’un ? on l’approuve et on le loue, quelque indigne qu’il soit d’être loué. Ce ne sont que vœux, que prières, et que bons souhaits pour lui. A-t-on de la jalousie ou de la haine ? Tout mérite disparaît dans celui qu’on hait. Ce ne sont contre lui qu’injures et qu’imprécations : le tout avec autant de liberté, que si l’on avait en main le pouvoir de tout faire, et de tout changer à sa fantaisie.

Dirons nous en voyant ces désordres, que l’homme qui en est capable, a perdu le beau miroir de la raison, qui lui représentait ses devoirs ? Non, il ne l’a point perdu. En s’impatientant et murmurant dans la souffrance,