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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/332

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coupe ce doigt sur-le-champ, pour sauver le reste du corps. L’un et l’autre agit sagement. Ce qui me surprend, c’est que l’homme, qui dans ces aventures subites et pressantes, agit sur des maximes si saines, et prend si bien son parti, le prenne souvent si mal, et semble les oublier dans sa conduite ordinaire.

En compagnie gardez votre langue ; étant seul, gardez votre cœur. Ce sont deux mots pleins d’un grand sens. Aussi le fameux Kong yang les avait-il écrit sur son paravent.

Je lis pour la première fois un livre ; j’y prends le même plaisir qu’à faire de nouveau un bon ami. Et c’est pour moi revoir un ancien ami, que de revenir à lire un livre que j’ai déjà lu.

Un diamant n’est pas sans défaut : on le préfère cependant à une simple pierre qui n’en a point. C’est ainsi qu’il en faut user dans le choix des personnes qu’on met en place.

Une servante aime à rapporter ; sa maîtresse aime à entendre ses rapports ; ce sont deux grands maux dans une famille. Pour achever de tout perdre, il ne faut plus qu’un mari crédule.

Vous êtes maintenant dans les grandes charges, rappelez-vous ces premiers temps où vous n’étiez que simple lettré, et jetez la vue par avance sur l’avenir, lorsque vous ne serez plus en place. En vous rappelant le passé, vous saurez vous passer de peu ; et la prévoyance de l’avenir vous inspirera une honnête épargne.

Parmi les inscriptions que Li ouen tsié avait dans sa salle, on lit ce qui suit :

Cette année, se disait-il un jour à lui-même, j’ai cinquante-six ans accomplis. Je fais réflexion que peu de gens vont au-delà de soixante-dix. Je n’ai donc plus guère à espérer qu’environ dix ans de vie. De ce temps qui peut me rester à vivre, les incommodités de la vieillesse, contre lesquelles la nature cherche à se défendre, en emporteront une partie. Il m’en reste donc bien peu que je puisse employer à faire du bien : comment oserais-je de ce peu en dérober encore pour le mal ?


Contre l’entêtement dans ses idées.


Ven ti, empereur de la dynastie Han, ne faisant attention qu’à l’ardeur et à la violence qui est naturelle au feu, traita de conte et de rêverie, ce qu’on disait dans certains livres d’une toile incombustible, que le feu nettoyait sans la consumer. Il s’entêta si fort de son idée, que pour réfuter l’opinion commune, il fit un écrit qu’il intitula Critique historique ; et cette pièce fut gravée par son ordre sur une pierre à la porte du premier collège de l’empire. Quelque temps après, des gens venus d’Occident, offrirent entr’autres choses à l’empereur quelques pièces de cette toile. On la mit au feu pour en faire l’épreuve. Ven ti convaincu qu’il avait erré lui-même en prétendant combattre une erreur, fit supprimer son écrit. Le bruit s’en répandit dans l’empire, et bien des gens rirent aux dépens du prince, qui avait fait mal à propos l’incrédule, et l’esprit fort.