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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/333

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C’est ainsi qu’encore aujourd’hui certaines gens qui ne jugent des choses que par leurs yeux, ne croient rien que ce qu’ils ont vu, et décident témérairement pour ou contre sur ce qu’ils n’ont pas vu, ou ce qu’ils ne peuvent voir. Écoutez certains lettrés de ces âges postérieurs : ils vous diront assez hardiment, qu’il n’y a ni esprits, ni enfer, ni bonheur après la mort. Ils écriront même sur cela, comme pour désabuser les autres. Il en est de ce qu’ils disent, comme de la Critique historique de Ven ti, avec cette différence que l’erreur de ces lettrés vulgaires et demi-savants, est plus grossière et plus dangereuse.


De l’étude.


La plupart des plaisirs du siècle, comme boire, folâtrer, jouer, ne sont que de frivoles amusements : et ils ont de plus cette incommodité, qu’ils nous rendent dépendants d’autrui, et qu’on ne peut les bien goûter seul. Pour une seule partie de dames, il faut du moins être deux. Il n’en est pas de même de l’étude : je puis étudier seul des années entières. Et quel plaisir n’est-ce pas de pouvoir, sans sortir de mon cabinet, voir ce qu’il y a de curieux dans tout l’univers, et rendre visite aux anciens sages, fussent-ils morts depuis mille ans ? L’avantage qu’on tire de l’étude est encore plus grand que le plaisir qu’on y goûte.

Quand on s’y applique sérieusement, et comme il faut, l’âme y trouve une nourriture délicieuse et solide : et ceux même qui étudient d’une manière moins sérieuse et moins réglée, ne laissent pas de tirer de leur étude bien des connaissances et des lumières. Non, il n’y a rien de plus agréable que d’étudier. Le commun des hommes ne le comprend pas. Cependant il est très vrai ; point de plaisir comparable.


Sur le commerce des grands.


Un homme de lettres a des relations avec certain homme riche, qui est tout occupé de ses richesses, et du soin de les augmenter : il le prévient, et le va voir. Rien de plus froid que cette visite. L’homme de lettres est à peine entré, que rebuté d’un tel accueil, il voudrait être dehors : cependant il faut s’asseoir. Il le fait donc ; et pour mettre son homme en humeur, il parle le premier des finances, et du gain qui se peut faire sur telle ou telle chose. Mais comme cette complaisance lui coûte, il ne parle et n’écoute qu’à contre-cœur. Ainsi la conversation tombe d’abord. Qu’arrive-t-il de là ? C’est que cet homme de lettres, s’il a du cœur, et s’il n’attend rien de ce riche, quelque relation qu’ils aient ensemble, ne l'ira voir que bien rarement. Il suivra du moins à son égard cette maxime, d’ailleurs si sage, suivant laquelle chacun doit dire : j’aime mieux que l’on se fâche de me voir trop rarement, que de me rendre importun par de trop fréquentes visites.