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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/342

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Sur le désintéressement.


Chi tso et son cadet Chi yeou ayant à partager le bien de leur père, se brouillèrent si fort ensemble, qu’en vain leurs parents s’employèrent pour faire un partage au gré des deux frères : il y avait dans leur voisinage un honnête homme nommé Nien fong, estimé par bien des endroits ; mais surtout connu pour bon fils et pour bon ami. Un jour Chi yeou le rencontrant, lui dit le différend qu’il avait avec son frère, et lui exposa ses raisons. Nien fong, sans le laisser achever, commença à gémir et à se lamenter, de voir deux frères en procès. Puis adressant la parole à Chi yeou : J’avais un aîné, lui dit-il, bien plus déraisonnable encore, et bien plus inflexible que le vôtre. Mon père étant mort, il s’appropria presque tout son bien ; je le laissai faire, et pris patience : bien loin de m’en repentir, je m’en suis très bien trouvé. Je vous conseille, ajouta-t-il les larmes aux yeux, et même je vous conjure d’en faire autant ; ne disputez point avec un frère.

Ce discours toucha Chi yeou : résolu d’imiter Nien fong : Venez avec moi, lui dit-il, allons de ce pas trouver mon frère. Ils y vont ; et l’abordant avec respect et soumission, Chi yeou les larmes aux yeux, témoigna se repentir d’avoir tenu tête à son frère, lui en demanda pardon, et déclara qu’il lui cédait tout ce qu’il voudrait. L’aîné Chi tso fut si attendri de ce spectacle, qu’il ne pût aussi retenir ses larmes. Toute la dispute fut alors à qui céderait davantage. Ces deux frères eurent toute leur vie une amitié singulière, et une vive reconnaissance pour Nien fong. Il y a encore aujourd’hui beaucoup d’union entre leurs familles, qui sont nombreuses et considérables.


Industrie d’un mandarin contre les vexations d’un envoyé de la cour.


Le magistrat de Tan tou, nommé Yang tsin, eut avis qu’il devait bientôt passer un envoyé de la cour. Il apprit en même temps, que sur la route cet envoyé avait fait mille vexations, jusqu’à faire lier et retenir sur sa barque divers magistrats pour les rançonner. Afin d’éviter une semblable avanie, il s’avisa d’un stratagème. Il choisit deux de ses gens qui étaient fort bons plongeurs. Il les fit habiller en vieillards, et les instruisit à en faire la contenance. Il les fait embarquer en cet équipage, et les envoie les premiers au-devant de l’envoyé. Celui-ci, d’aussi loin qu’il aperçut leur petite barque : Canailles, leur cria-t-il d’un ton menaçant à son ordinaire, qui vous a rendu si hardis que de venir seuls à ma rencontre ? Où est votre maître ? Vite, qu’on me garrotte ces deux coquins. À ces mots, ces deux hommes bien instruits, se jetèrent dans l’eau et disparurent. Yang, quelque temps après, vint en personne recevoir l’envoyé suivant la coutume. Pardon, monsieur, lui dit-il, si j’ai peut-être un peu tardé : on m’a arrêté en chemin pour une affaire. Il s’agissait d’un procès verbal, où le peuple énonce que deux hommes