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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/390

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empire. Ces livres si respectés, dont nous avons donné le précis, renferment tout ce qui s’est passé de considérable sous les premiers empereurs qui ont gouverné la Chine.

On y voit les ordonnances et toute l’histoire de l’empereur Yao, avec tous les soins qu’il se donna pour établir dans l’État une forme de gouvernement. On y lit les règlements que firent Chun et Yu ses successeurs, pour perfectionner les mœurs, et affermir la tranquillité publique ; les usages et les coutumes des petits rois qui gouvernaient les provinces sous la dépendance de l’empereur, leurs vertus, leurs vices, leurs maximes dans le gouvernement, les guerres qu’ils se sont faites les uns les autres, les grands hommes qui ont fleuri de leur temps, et tous les autres événements qui méritent d’être transmis aux siècles futurs.

On a eu le même soin de laisser à la postérité l’histoire des règnes qui les ont suivis. Mais ce qu’il y a de particulier aux Chinois, c’est l’attention qu’ils prennent pour prévenir le peu de sincérité que la flatterie des écrivains passionnés pourrait y introduire.

Une de ces précautions consiste dans le choix qu’on fait d’un certain nombre de docteurs désintéressés, qui sont chargés d’observer toutes les paroles et toutes les actions de l’empereur. Chacun d’eux en particulier, et sans en faire part aux autres, les écrit sur une feuille volante, à mesure qu’il en est instruit, et jette cette feuille dans un bureau, par une ouverture qu’on y a pratiquée à ce dessein.

On y raconte avec une extrême naïveté tout ce qu’il a dit et fait de bien et de mal. Par exemple, tel jour l’empereur oublia sa dignité ; il ne fut pas maître de lui-même, et se livra à la colère. Tel autre jour il n’écouta que son ressentiment et sa passion, en punissant injustement un tel officier, ou en cassant mal à propos un arrêt du tribunal. Ou bien à telle année, à tel jour, l’empereur donna telle marque de l’affection paternelle qu’il a pour les sujets, il entreprit la guerre pour la défense de son peuple, et pour l’honneur de l’empire : au milieu des applaudissements de sa cour, qui le félicita de telle action utile au bien de l’empire, il parut avec un air modeste et humble, comme s’il eût été insensible à des louanges si justes.

Le bureau où l’on dépose toutes ces feuilles, ne s’ouvre jamais durant la vie du prince, ni tandis que sa famille est sur le trône. Quand la couronne passe dans une autre maison, on ramasse tous ces mémoires particuliers ; on les confronte les uns avec les autres, pour en démêler la vérité ; et c’est sur ces mémoires qu’on compose l’histoire de l’empereur. Un autre usage des Chinois ne contribue pas peu à enrichir l’histoire de leur nation. Chaque ville imprime ce qui arrive de singulier dans son district. Cette histoire particulière comprend la situation, l’étendue, les limites, et la nature des pays, avec les endroits les plus remarquables, les mœurs de ses habitants, les personnes qui s’y sont distinguées par les armes et par les lettres, ou celles qui ont été d’une probité au-dessus du commun. Les femmes même y ont leur place : celles par exemple, qui par attachement pour leur mari défunt, ont gardé la viduité.