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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/399

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disputaient leur vie contre les flots. Mais les bateliers, gens durs et intéressés, demandaient qu’on leur assurât une bonne récompense, sans quoi il n’y avait nul secours à espérer.

Pendant ce débat arrive la barque de Liu : lorsqu’il eût appris de quoi il s’agissait, il se dit à lui-même : sauver la vie à un homme, c’est une œuvre plus sainte et plus méritoire, que d’orner des temples, et d’entretenir des bonzes. Consacrons les vingt taëls à cette bonne œuvre : secourons ces pauvres gens qui se noient. Aussitôt il déclare qu’il donnera vingt taëls à ceux qui recevront dans leurs barques ces hommes à demi noyés.

À cette proposition tous les bateliers couvrent en un moment la rivière. Quelques-uns même des spectateurs placés sur le rivage, et qui savaient nager, se jettent avec précipitation dans l’eau, et en un moment tous généralement furent sauvés du naufrage. Liu s’applaudissant de ce succès, livra aussitôt l’argent qu’il avait promis.

Ces pauvres gens tirés de l’eau et des portes de la mort, vinrent rendre grâces à leur libérateur. Un de la troupe ayant considéré Liu, s’écria tout à coup : Hé, quoi ! c’est vous, mon frère aîné ; par quel bonheur vous trouvai-je ici ? Liu yu s’étant tourné, reconnut son troisième frère Liu tchin. Alors transporté de joie, et tout hors de lui-même, joignant les mains : Ô merveille ! dit-il, le Ciel m’a conduit ici à point nommé pour sauver la vie à mon frère. Aussitôt il lui tend la main, il l’embrasse, le fait passer sur sa barque, l’aide à se dépouiller de ses habits tout trempés, et lui en donne d’autres.

Liu tchin après avoir repris ses esprits, s’acquitta des devoirs que la civilité prescrit à un cadet pour son aîné ; et celui-ci ayant répondu à son honnêteté, appelle Hi eul, qui était dans une des chambres de la barque, afin de venir saluer son oncle : pour lors il lui raconta toutes ses aventures, qui jetèrent Liu tchin dans un étonnement, dont il ne pouvait revenir. Mais enfin apprenez-moi, lui dit Liu yu, ce qui peut vous amener en ce pays-ci.

Il n’est pas possible, répondit Liu tchin, de dire en deux mots la cause de mon voyage. Depuis trois ans que vous avez quitté la maison, on nous est venu apporter la triste nouvelle que vous étiez mort de maladie dans la province de Chan si. Mon second frère, comme chef de la famille en votre absence, fit des perquisitions, et il assura que la chose était véritable. Ce fut un coup de foudre pour ma belle-sœur, elle fut inconsolable, et prit aussitôt le grand deuil. Pour moi, je lui disais sans cesse que cette nouvelle n’était point sûre : et que je n’en croyais rien.

Peu de jours après, mon second frère pressa ma belle-sœur de songer à un nouveau mariage. Elle a toujours rejeté bien loin une pareille proposition. Enfin elle m’a engagé à faire le voyage du Chan si, pour m’informer sur les lieux de ce qui vous regarde : et lorsque j’y songe le moins, prêt de périr dans les eaux, je rencontre mon cher frère : il me sauve la vie : protection du Ciel vraiment admirable ! Mais, mon frère,