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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/416

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Il est certain que Ouang aurait dû se modérer : il commit en cela une grosse faute : mais aussi en fut-il bien puni, comme on le verra dans la suite. Dans le moment qu’il vit cet étranger tomber à ses pieds sans mouvement et presque sans vie, il fut saisi d’une extrême frayeur, qui dissipa bientôt les fumées du vin. Il se met en mouvement ; il crie au secours : on vient en hâte, et l’on transporte cet homme à demi mort dans la salle voisine. Comme il ne donnait point encore de signe de vie, on lui fait avaler du thé bien chaud, et peu après il revint de son évanouissement.

Alors Ouang lui ayant fait d’humbles excuses, lui fit boire plusieurs coups d’excellent vin, et lui servit à manger pour rétablir ses forces : après quoi il lui fit présent d’une pièce de taffetas, dont il pouvait tirer quelque argent.

Ce bon traitement fit sur-le-champ passer ce pauvre homme de l’indignation à la joie, et il la témoigna par mille actions de grâces ; après quoi il prit congé, et se rendit sur le bord de la rivière, qu’il devait passer avant qu’il fût tout à fait nuit.

Si Ouang avait pu prévoir l’avenir, il aurait retenu cet étranger, et l’aurait nourri dans sa maison, du moins pendant deux mois. Ce trait d’hospitalité l’eût préservé des traverses que nous allons voir fondre sur lui. Sa conduite nous fait une bonne leçon, qui est exprimée dans ce proverbe : On lance des deux mains un filet de fil d’or, et l’on amène cent malheurs.

Ouang ne l’eût pas plus tôt vu parti, qu’il entre dans l’intérieur de sa maison, et s’applaudit avec sa femme de s’être si bien tiré d’un si mauvais pas.

Comme il était nuit, la dame Lieou appelle ses esclaves, et leur ordonne de servir incessamment le souper. Elle commence par faire avaler à son mari un bon coup de vin chaud, pour le remettre de sa frayeur. Il avait déjà repris ses esprits, et son cœur se tranquillisait, lorsqu’il entend tout à coup frapper à la porte.

Une nouvelle frayeur le saisit. Il prend vite la lampe, et va voir de quoi il s’agit. Il trouve un nommé Tcheou se, qui était le chef de la barque, sur laquelle on passe la rivière. Il avait en main la pièce de taffetas et le panier du marchand.

Aussitôt qu’il aperçut Ouang, il lui dit d’un air effaré : Quelle terrible affaire vous êtes-vous attirée ? Vous êtes un homme perdu. Quoi ! un lettré comme vous tuer un pauvre marchand ! Ce fut un coup de foudre pour le malheureux Ouang. Que voulez-vous encore dire, reprit-il en tremblant ? Est-ce, répliqua Tcheou se, que vous ne m’avez pas compris ? Ne reconnaissez-vous pas ce taffetas et ce panier ? Eh ! oui, ajouta-t-il : un vendeur de gingembre, qui est de Hou tcheou, est venu chez moi : cette pièce de taffetas il l’a reçue de moi aujourd’hui ; c’est dans ce panier qu’il portait sa marchandise. Comment est-ce que ces choses se trouvent entre vos mains ? Il faisait déjà nuit, dit Tcheou se, lorsqu’un homme de Hou tcheou, appelle Liu, me demanda à passer la rivière sur ma barque. A peine y eut-il mis le pied, qu’il fut surpris d’un mal violent de poitrine, qui le