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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/417

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réduisit à l’extrémité : alors m’avertissant que c’était l’effet des coups que vous lui aviez donnés, il me remit la pièce de taffetas et le panier. Cela servira de preuve, poursuivit-il, lorsque, comme je vous en conjure, vous suivrez cette affaire en justice. C’est pourquoi allez au plus tôt à Hou tcheou, pour informer mes parents, et les prier de me venger, en demandant la mort de celui qui me l’a procurée. En finissant ces mots, il expira. Son corps est encore sur la barque que j’ai conduite près de votre porte, qui est à l’entrée de la rivière. Vous pouvez vous en instruire par vous-même, afin d’aviser aux mesures que vous avez à prendre pour votre sûreté.

À ce récit, Ouang fut tellement effrayé, qu’il ne pût proférer une seule parole. Son cœur était agité comme celui d’un jeune faon serré de près, qui va heurter çà et là, sans trouver d’issue pour s’échapper.

Enfin revenant un peu à lui-même, et dissimulant l’embarras où il était : Ce que vous me racontez, lui dit-il hardiment, ne saurait être. Néanmoins il ordonna secrètement à un domestique de visiter la barque, et de bien examiner si la chose était véritable. Celui-ci revint au plus vite, et assura que le corps mort y était effectivement.

Ouang était un homme d’un esprit irrésolu, et dont les vues étaient bornées. Il rentre dans sa maison tout hors de lui-même, et racontant à sa femme ce qu’il venait d’apprendre : C’en est fait de moi, s’écria-t-il, je suis un homme perdu ; l’orage est prêt à crever sur ma tête ; je ne sache qu’un remède à mon malheur ; c’est de gagner ce batelier, afin qu’à la faveur des ténèbres il jette quelque part ce cadavre. Il n’y a que ce moyen de me tirer d’intrigue.

Sur cela il prend un paquet de plusieurs morceaux d’argent, qui faisaient environ vingt taëls, et vient rejoindre avec précipitation le batelier. Mon maître, lui dit-il, je compte que vous me garderez le secret : je vais vous parler confidemment. Il est vrai que je me suis attiré cette mauvaise affaire ; mais certainement il y a eu plus d’imprudence que de malice. Nous sommes l’un et l’autre de Ouen tcheou : je me flatte que vous aurez pour moi le cœur d’un bon concitoyen. Voudriez-vous me perdre pour l’amour d’un étranger ? Quel avantage vous en reviendrait-il ? Ne vaut-il pas mieux assoupir cette affaire ? Ma reconnaissance sera proportionnée à votre bienfait. Prenez donc le cadavre, et jetez-le en quelque endroit écarté : l’obscurité de la nuit favorise notre dessein, et il n’y a personne qui puisse en avoir la moindre connaissance.

Quel endroit puis-je choisir ? reprit le batelier. Si demain par hasard quelqu’un vient à découvrir le mystère, et qu’on fasse des recherches en justice, on me regardera comme complice du meurtre, et pour vous avoir rendu service, je serai également intrigué dans une affaire si fâcheuse.

Vous savez bien, dit Ouang, que la sépulture de mon père est ici proche, et que cet endroit n’est point fréquenté. D’ailleurs la nuit est très obscure, et il n'est point à craindre que vous trouviez une seule