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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/420

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se traîna, comme il put, dans sa chambre. Là, plein de rage, et se débattant comme un forcené : Maître barbare, s’écria-t-il, ta brutalité te coûtera cher, tu n’échapperas pas à ma vengeance. Puis après avoir rêvé un moment : Je n’irai pas bien loin pour en chercher l’occasion ; je l’ai à la main, et je ne la manquerai pas : dès que mes plaies seront guéries, tu verras de quoi je suis capable, et tu apprendras, comme dit le proverbe, « si c’est le seau suspendu par la corde, qui est tombé dans le puits, ou si c’est l’eau du puits qui est tombé dans le seau. »

Ouang cependant était inconsolable, et ne s’occupait que de sa douleur. Enfin ses parents et ses amis l’invitèrent de tous côtés à venir les voir, et peu à peu ils essuyèrent ses larmes, et dissipèrent sa tristesse.

Quelques jours après être retourné chez lui, comme il se promenait dans la galerie de la salle, il voit entrer une troupe d’archers qui viennent droit à lui, et lui jettent une corde au col. Hé ! quoi, s’écria Ouang tout consterné, ne savez-vous pas que je suis lettré, et de famille de lettrés ? Traite-t-on de cette manière indigne un homme de mon rang ? Et pour quel sujet encore ?

Les archers lui répondirent d’un air insultant : Oui, vous êtes un joli lettré. Le mandarin vous apprendra s’il convient à un lettré d’assommer les gens. En même temps ils le traînèrent au tribunal où ce magistrat donnait son audience. A peine l’eût-on fait mettre à genoux, qu’il aperçut à quelque distance son esclave, qui était devenu son accusateur, et qui faisait paraître sur son visage épanoui, la joie secrète qu’il avait de l’humiliation et de l’embarras où se trouvait son maître. Il comprit d’abord que le perfide n’avait intenté cette accusation que pour se venger du châtiment dont il l’avait fait punir.

Le mandarin commença ainsi son interrogatoire. Vous êtes accusé, lui dit-il, d’avoir tué un marchand de la ville de Hou tcheou : que répondez-vous à cette accusation ? Ah ! seigneur, répondit Ouang, vous qui tenez ici bas à notre égard la place du juste Ciel, n’écoutez point les calomnies de ce misérable. Faites réflexion qu’un lettré de profession, faible et timide comme je suis, ne peut pas être soupçonné de s’être battu, et d’avoir tué personne. Mon accusateur est un de mes esclaves, que j’ai surpris en faute, et que j’ai fait châtier assez rudement, selon le droit que j’ai comme son maître. Ce malheureux a formé le dessein de me perdre. Mais j’espère de vos lumières et de votre équité, que vous n’écouterez point un malheureux au préjudice de son maître, et que vous dévoilerez aisément le secret de ses noires intrigues.

Hou le Tigre, après avoir frappé du front contre terre : Seigneur, je vous conjure, dit-il, vous qui faites visiblement la fonction du Ciel, de n’avoir point d’égard à ce que vient de dire ce lettré, qui a un talent rare de se contrefaire. Qu’un esclave fasse des fautes, et qu’il en soit puni, rien n’est plus ordinaire ; et l’on n’en voit point qui pousse le ressentiment jusqu’à intenter une accusation capitale. Mais il est aisé de vous en éclaircir. Les ossements de celui qu’il a tué sont actuellement dans sa sépulture ; donnez ordre qu’on les déterre : si on les trouve, on verra