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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/425

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contre mon mari fut une calomnie. Mais où a-t-on pu prendre ce corps mort, qu’on disait être le vôtre ?

Liu ayant rêvé un moment : je suis au fait, dit-il ; lorsque j’étais sur la barque, et que je racontais mon histoire au batelier, je vis un corps mort flotter sur le bord de la rivière, et aborder au rivage ; je remarquai que l’eau lui sortait de la bouche et des yeux ; et je ne doutai point que ce ne fut un cadavre sans vie. Aurait-on pu croire que ce batelier eût pu former un dessein si diabolique ? C’est un monstre qui fait horreur. Mais, Madame, il n’y a point de temps à perdre ; recevez, je vous prie, ce petit présent, et de ce pas allons ensemble à l’audience du mandarin ; je le convaincrai de la calomnie, et c’est ce qu’il est important de faire au plus tôt. La dame Lieou reçut le présent, et fit servir à dîner au bon vieillard Liu.

Pendant ce temps-là elle dressa elle-même sa requête ; car étant d’une famille de lettrés, elle écrivait avec élégance : après quoi ayant fait venir une chaise à porteurs, elle part accompagnée de quelques esclaves, et suivie du bon vieillard, elle se rend à l’hôtel du mandarin.

Aussitôt que ce magistrat parût sur son siège, l’un et l’autre s’écrièrent : L’innocent est opprimé par la calomnie ! et en même temps la dame présenta sa requête. Le mandarin l’ayant lue, la fit approcher, et lui fit diverses questions. Elle expliqua fort en détail tout ce qui avait causé la disgrâce de son mari ; et elle finit par dire que ce jour-là même le vendeur de gingembre étant heureusement arrivé dans la ville, elle venait d’être convaincue de l’affreuse calomnie dont elle demandait justice dans sa requête.

Le mandarin l’ayant écouté attentivement, fit approcher Liu à son tour, pour être interrogé. Celui-ci raconta le commencement et la fin de la dispute où il avait reçu quelques coups. Il expliqua de quelle manière il avait été engagé à vendre la pièce de taffetas, et satisfit entièrement par ses réponses à toutes les questions qui lui furent faites.

Mais, répliqua le mandarin, n’auriez-vous pas été gagné à force d’argent par cette femme, pour venir rendre ici ce témoignage ? Liu frappant du front contre terre, répondit aussitôt : Une pareille feinte n’est pas praticable : je suis un marchand de Hou tcheou, qui fais mon commerce dans cette ville depuis plusieurs années ; j’y suis connu d’un grand nombre de personnes ; comment pourrais-je en imposer ? Si ce qu’on a feint de ma mort était vrai, est-ce que me sentant prêt à mourir, je n’aurais pas chargé le batelier d’avertir quelqu’un de ma connaissance de me venir voir, pour lui donner la commission de demander justice ? Était-il naturel que je donnasse ce soin à un inconnu ? Mais si j’étais effectivement mort, est-ce que je n’ai point à Hou tcheou de proche parent, qui me voyant si longtemps absent, aurait pris sûrement le parti de venir ici s’informer de mes nouvelles ? Et si j’eusse été tué, comme on le dit, aurait-il manqué à porter son accusation à votre tribunal ? Comment donc est-il arrivé que durant une année entière, personne n’ait paru, et qu’au lieu d’un de mes parents, ce soit un esclave qui se porte pour accusateur