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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/428

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Tigre, au milieu de la torture, criait de toutes ses forces : Ah ! Seigneur, si vous me reprochez d’avoir conçu dans le cœur une haine mortelle contre mon maître, et de m’être fait son accusateur ; je conviens que je suis coupable : mais dût-on me tuer, on ne me fera jamais avouer que j’ai comploté avec qui que ce sot, pour inventer ce qu’on appelle calomnie. Oui, mon maître un tel jour ayant eu dispute avec Liu, le frappa rudement, en sorte qu’il tomba évanoui ; à l’instant il lui fit avaler je ne sais quelle liqueur, qui le fit revenir : puis il lui servit à manger, et lui fit présent d’une pièce de taffetas blanc. Liu alla de là à la rivière pour la passer. Cette nuit-là même vers la seconde veille, le batelier Tcheou se conduisit sur sa barque jusqu’à notre porte un corps mort ; et pour marque que c'était celui de Liu, il montra la pièce de taffetas blanc et le panier de bambou. Il n’y eut aucun des domestiques qui ne crût la chose véritable. L’argent et les bijoux que mon maître donna au batelier, lui fermèrent la bouche, et il promit de cacher cette mort. Je fus un de ceux qui aidaient à enterrer le cadavre. Dans la suite mon maître m’ayant fort maltraité, je formai le dessein de me venger, et je l’accusai à votre tribunal. Au regard de cet homme mort, je jure que je n’en ai aucune connaissance ; et même si je n’avais pas vu aujourd’hui ici le vieux Liu, je ne me serais jamais imaginé qu’on calomniât mon maître, en le faisant l’auteur de cette mort. De dire maintenant quel est ce cadavre, et d’où il vient ; c’est ce que j’ignore. Il n’y a que ce batelier qui puisse en rendre compte.

Cette déposition ayant été reçue du mandarin, il fit approcher Tcheou se, afin d’être interrogé à son tour. Celui-ci prenait divers détours pour déguiser son crime. Mais Liu qui était présent, découvrait aussitôt sa fourberie. Le mandarin le fit mettre à la question, qui tira promptement son aveu.

Je déclare, dit-il, que l’année dernière à tel mois et à tel jour, Liu étant venu me demander le passage sur sa barque, tenait à la main une pièce de taffetas blanc. Je lui demandai par hasard, qui lui avait fait ce présent. Il me raconta toute son histoire. Au même temps il parut sur le rivage un corps mort, que le courant y avait jeté. Il me vint dans l’esprit de m’en servir, pour tromper Ouang. C’est ce qui me fit acheter la pièce de taffetas et le panier de bambou. Liu étant débarqué, je tirai de l’eau le cadavre : je le mis dans ma barque, et le conduisis à la porte de Ouang. Contre toute apparence il crut ce que je lui rapportai de la mort de Liu, et il me donna une bonne somme pour ne la pas divulguer. J’allai avec quelques-uns de ses domestiques enterrer le cadavre, qu’il s’imaginait sur ma parole être le corps du vieux Liu. Il n’y a rien que de vrai dans l’aveu que je fais, et je consens à tout souffrir, s’il y a la moindre particularité qui soit fausse.

Tout cela, dit le mandarin, s’accorde avec ce que je sais déjà. Il n’y a qu’un article obscur, et où je ne vois pas clair. Est-il possible qu’à point nommé il se trouvât sur le rivage un corps mort ? De plus, est-il croyable que ce corps fût ressemblant à celui du vieux Liu ? Sans doute, c’est