Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/429

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un homme que tu as tué ailleurs, et ton dessein a été de faire passer Ouang pour l’auteur de ce meurtre.

Ah ! seigneur, s’écria Tcheou se, si j’avais songé à tuer quelqu’un, n’aurais-je pas tué Liu plutôt que tout autre, lorsque dans l’obscurité de la nuit il passait seul sur ma barque ? Ce que je vous ai dit est véritable : ayant vu un cadavre flotter sur l’eau, je crus qu’il me serait aisé de m’en servir pour tromper Ouang ; et c’est ce qui me fit acheter de Liu, et le taffetas, et le panier. Ce qui me persuada que je pourrais y réussir, c’est que je connaissais Ouang pour un homme simple et crédule ; que je savais d’ailleurs qu’il n’avait vu Liu que cette fois-là ; encore était-ce pendant la nuit, et à la faveur d’une lampe. J’étais muni de la pièce de taffetas blanc et du panier de bambou, ce qui devait lui rappeler aussitôt l’idée du vendeur de gingembre. Voilà ce qui me fit croire que ma ruse pouvait réussir, et qu’il donnerait dans le piège que je lui tendais. Quant au corps mort, je jure que je ne sais qui il est. Je me doute que c’est un homme à qui le pied a manqué, et qui étant tombé dans la rivière, s’est noyé. Mais je n’ose rien assurer sur cela de positif.

Pour lors le vieux Liu se mettant à genoux. Pour moi, dit-il, j’assurerai bien qu’au moment que je passais la rivière sur sa barque, il parut un corps mort qui flottait sur l’eau. Son témoignage est très véritable. Le mandarin reçut, et mit par écrit et en ordre ces dépositions.

Tcheou se fondant en larmes, s’écria aussitôt : Ayez pitié, seigneur, de ce pauvre malheureux qui est à vos pieds : je n’avais d’autre vue que d’escroquer par cet artifice de l’argent à ce lettré, et non pas de nuire à sa personne. Ainsi modérez le châtiment, je vous en conjure.

Le mandarin élevant la voix : Quoi, scélérat que tu es, tu oses demander grâce, après que ta passion pour le bien d’autrui, vient de mettre un homme à deux doigts de sa ruine. Ce tour-là n’est pas ton coup d’essai. Il y a de l’apparence que tu en as déjà fait périr bien d’autres par de semblables artifices. Je dois délivrer ma ville d’une si dangereuse peste.

Pour ce qui est de Hou le Tigre, c’est un esclave dénaturé, lequel oubliant les bienfaits qu’il a reçu de son maître, a conjuré sa perte. Il mérite d’être sévèrement puni. En même temps il ordonna aux exécuteurs de justice de prendre ces deux fripons, et de les étendre par terre ; de donner à Hou le Tigre quarante coups de bâton ; et de frapper Tcheou se jusqu’à ce qu’il expire sous les coups.

On ne savait pas que Hou le Tigre sortait de maladie, et qu’ainsi il n’était guère en état de supporter ce châtiment. Mais la justice du Ciel ne voulait plus souffrir cet esclave infidèle. Il expira sur le pavé de l’audience avant qu’on eût achevé de lui donner les quarante coups. Tcheou se ne mourut sous le bâton qu’après en avoir reçu soixante-dix.

Après cette expédition, le mandarin fit tirer Ouang de prison, et en pleine audience, il le déclara innocent, et lui rendit la liberté. De plus il ordonna que toutes les pièces de toile qui étaient dans la boutique de