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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/430

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Tcheou se, et qui avaient été achetées de l’argent de Ouang, lui seraient livrées. Ce fonds de boutique montait bien à cent taëls.

Selon le cours de la justice, dit le mandarin, tout cela devrait être confisqué : mais comme Ouang est un lettré qui a beaucoup souffert, j’ai compassion du pitoyable état où il a été réduit ; que tout ce qui se trouvera chez le voleur, retourne à celui qui a été volé. Ce fut un trait de bonté de la part du mandarin.

On alla aussi, selon ses ordres, déterrer le corps mort, et l’on remarqua qu’il avait encore les ongles des mains remplies de sable ; ce qui prouvait qu’étant tombé dans la rivière près du bord, il s’était noyé, en tâchant de grimper sur le rivage. Comme aucun de ses parents ne le réclamait, le mandarin ordonna aux officiers de l’ensevelir dans la sépulture publique des pauvres.

Ouang, sa femme, et le vieux Liu, après avoir remercié humblement le mandarin, se retirèrent dans leur maison, où ils firent à ce bon vieillard, qui s’était si fort employé à détruire la calomnie, toutes les caresses, et toutes les amitiés qu’on peut attendre de la plus sincère reconnaissance.

Depuis ce temps-là, Ouang apprit à modérer sa vivacité naturelle, et à dompter son humeur impétueuse. S’il rencontrait un pauvre, qui lui demandât quelque secours, ou quelque service, il le recevait avec un air affable, et il tâchait de le soulager. Enfin il prit la résolution de travailler tout de bon, afin de parvenir aux emplois, et de faire oublier l’humiliation où il s’était trouvé. Il était sans cesse sur les livres, et n’avait nul rapport au dehors. Il vécut de la sorte durant dix ans ; après quoi il fut élevé au degré de docteur.

On a raison de dire que les magistrats et les officiers de justice sont dans l’obligation de ne pas regarder la vie d’un homme, comme celle d’une vile plante ; et qu’ils sont bien coupables, quand ils apportent aussi peu d’application à l’examen d’un procès, que s’ils assistaient aux débats d’une troupe d’enfants qui se divertissent. Ils ne doivent rien précipiter. Par exemple, dans la cause de Ouang, le point capital était de pénétrer les menées secrètes, et les artifices du batelier. Si le vendeur de gingembre ne fût pas heureusement venu à la ville de Ouen tcheou, et si par trop de précipitation on n’eût pas attendu son arrivée, le domestique qui accusait son maître, n’aurait pas cru l’avoir calomnié ; la femme ne se serait pas imaginé que son mari fût innocent du meurtre dont on l’accusait : l’accusé lui-même aurait ignoré qu’il était injustement opprimé. A combien plus forte raison le juge l’aurait-il ignoré ! Comment deviner des choses cachées avec tant de soin ? Comment les débrouiller ? Que les magistrats bienfaisants, et qui, comme ils le doivent, ont des entrailles de père pour le peuple, apprennent par ce trait d’histoire, de quelle manière ils doivent se conduire, et les défauts qu’ils ont à éviter.