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Pour ce qui est du mari et de la femme, ils sont unis très étroitement, et par des liens infiniment respectables : mais enfin ou le divorce, ou la mort, rompent souvent cette union. C’est ce que nous apprend le proverbe, qui dit : « L’époux et l’épouse sont comme les oiseaux de la campagne ; le soir les réunit dans un même bocage, et le matin les sépare. » Il faut pourtant l’avouer : il y a bien moins à craindre l’excès dans l’amour paternel que dans l’amitié conjugale. Celle-ci s’entretient et s’accroît en secret dans des tête-à-tête, et par de grands épanchements de cœur. Ainsi il n’est pas rare qu’une jeune femme se rende maîtresse de l’esprit d’un mari, et de là naissent les refroidissements d’un fils envers son père. Ce sont de ces défauts grossiers, dont les gens de mérite savent bien se défendre.

À ce sujet je vais raconter un trait de la vie du fameux Tchouang tse. Mais je proteste d’abord, que ce que je dirai, ne tend point à affaiblir l’union et la paix qui doivent régner entre les gens mariés. Je prétends seulement faire voir qu’on doit être attentif à distinguer le vrai et le faux mérite pour régler son affection : et comme il est très dangereux de donner dans un amour qui aveugle, il est de même très important, pour assurer son repos, de se tenir dans une juste modération. A parler en général, celui qui travaille sans relâche à dompter ses passions, s’en rendra enfin le maître : la sagesse sera son partage, et une vie douce et tranquille sera le fruit de son travail.

Nos anciens voulant moraliser sur la manière dont le laboureur cultive son champ, se sont exprimés ainsi dans les vers suivants :


Il transplante le riz en herbe dans une terre nouvellement défrichée.
Et peu de temps après, une eau pure y ayant été introduite, il voit dans ce champ verdoyant et inondé, l’image d’un beau ciel azuré.
Notre cœur est ce champ ; il a sa parure et ses richesses, lorsque les passions y sont pures et réglées.
Le moyen sûr d’atteindre à l’état de perfection, et une marque qu’on y tend, c’est de ne pas présumer de soi-même, et de ne pas se vanter qu’on y soit arrivé.


Venons à notre histoire.


Sur la fin de la dynastie des Tcheou, parut à la Chine un fameux philosophe appelé Tchouang tse. Il naquit à Mong, ville du royaume Song[1]. Il eut un petit mandarinat, et il se fit disciple d’un sage très célèbre en ce temps-là, et auteur de la secte du Tao. Son nom était Ly, et son surnom Eul. Mais comme il était venu au monde avec des cheveux blancs, il fut appelé Lao tse, c’est-à-dire, l’enfant vieillard.

Toutes les fois que Tchouang tse dormait, son sommeil était interrompu

  1. C'est la province de Chang tong.