Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/434

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king, car les cinq mille mots dont ce livre est composé sont tous mystérieux. Il n’est plus rien de réservé pour un tel disciple.

Tchouang tse de son côté se donna tout entier à cette étude : il lisait sans cesse, il méditait, il mettait en pratique la doctrine de son maître, et à force de fonder son intérieur, de le purifier, de le raffiner, pour ainsi dire, il comprit parfaitement la différence qui se trouvait entre ce qu’il y avait en lui de visible et d’imperceptible ; entre le corps qui se corrompt, et l’esprit, qui en quittant cette demeure, acquiert une nouvelle vie par une espèce de transformation admirable.

Tchouang tse frappé de ces lumières, renonça à la charge qu’il possédait. Il prit même congé de Lao tse, et se mit à voyager, dans l’espérance d’acquérir de belles connaissances, et de faire de nouvelles découvertes.

Cependant quelque ardeur qu’il eût pour le dégagement et le repos du cœur, il ne renonça pas aux plaisirs de l’union conjugale. Il se maria successivement jusqu’à trois fois. Sa première femme lui fut promptement enlevée par une maladie, il répudia la seconde pour une infidélité dans laquelle il l’avait surprise. La troisième fera le sujet de cette histoire.

Elle s’appelait Tien, et descendait des rois de Tsi[1]. Tchouang tse s’était fait beaucoup estimer dans ce royaume, et un des principaux de cette famille, nommée Tien, épris de son mérite, lui donna sa fille en mariage.

Cette nouvelle épouse l’emportait de beaucoup sur les deux autres qu’il avait eues. Elle était bien faite, d’un teint blanc et fleuri, et d’un caractère d’esprit, qui joignait une douceur aimable à une vivacité surprenante. Aussi quoique ce philosophe ne fût pas naturellement passionné, il aima tendrement cette dernière épouse. Cependant le roi de Tsou[2] étant informé de la haute réputation de Tchouang tse, prit le dessein de l’attirer dans ses États : il lui députa des officiers de sa cour avec de riches présents en or et en soieries, pour l’inviter à entrer dans son Conseil en qualité de premier ministre.

Tchouang tse, loin de se laisser éblouir à ces offres, répondit en soupirant par cet apologue : Une génisse destinée aux sacrifices, et nourrie depuis longtemps avec délicatesse, marchait en pompe, chargée de tous les ornements dont on pare les victimes. Au milieu de cette espèce de triomphe, elle aperçut sur sa route des bœufs attelés, qui suaient sous la charrue. Cette vue redoubla sa fierté. Mais, après avoir été introduite dans le temple, lorsqu’elle vit le couteau levé et prêt à l’immoler, elle eût bien voulu être à la place de ceux dont elle méprisait le malheureux sort. Ses souhaits furent inutiles ; il lui en coûta la vie. Ce fut ainsi que Tchouang tse refusa honnêtement et les présents et les offres du roi.

  1. Le royaume de Tsi est maintenant la province de Chan si.
  2. C'est la province de Hou quang.