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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/437

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La peinture représente bien l’extérieur d’un animal ; mais elle ne montre pas ce qu’il est au-dedans.
On voit le visage d’une personne ; mais on ne voit pas le cœur.


À ce discours-là, Tien entra dans une grande colère. Les hommes, s’écria-t-elle, sont tous égaux quant à leur nature. C’est la vertu ou le vice qui met entre eux de la distinction. Comment avez-vous la hardiesse de parler de la sorte en ma présence ? De condamner toutes les femmes, et de confondre injustement celles qui ont de la probité, avec des malheureuses qui ne méritent pas de vivre ? N’avez-vous pas honte de porter des jugements si injustes, et ne craignez-vous pas d’en être puni ?

A quoi bon tant de déclamations ? répliqua le philosophe. Avouez-le de bonne foi : si je venais à mourir maintenant, restant comme vous êtes, à la fleur de votre âge, avec la beauté et l’enjouement que vous avez ; seriez-vous d’humeur à laisser couler trois, et même cinq années, sans penser à un nouveau mariage, ainsi que le grand rit l’ordonne ?

Ne dit-on pas, répondit la dame : un Grand qui est fidèle à son prince, renonce à tout emploi après la mort de son légitime maître. Une vertueuse veuve ne pense jamais à un second mari. A-t-on jamais vu des dames de mon rang, qui, après avoir été mariées, aient passé d’une famille à une autre, et qui aient quitté le lit de leurs noces, après avoir perdu leur époux ? Si pour mon malheur vous me réduisiez à l’état de veuve, sachez que je serais incapable d’une telle action, qui serait la honte de notre sexe, et que de secondes noces ne me tenteraient pas ; je ne dis point avant le terme de trois ou de cinq ans, mais durant toute la vie. Oui, cette pensée ne me viendrait pas même en songe. C’est là ma résolution, et rien ne pourrait m’ébranler.

De semblables promesses, reprit Tchouang tse, se font aisément, mais elles ne se gardent pas de même. Ces paroles mirent encore la dame de mauvaise humeur, et elle éclata en paroles peu respectueuses. Sachez, dit-elle, qu’une femme a souvent l’âme plus noble et plus constante dans son affection conjugale, que ne l’a un homme de votre caractère. Ne dirait-on pas que vous êtes un parfait modèle de fidélité ? Votre première femme meurt, peu après vous en prenez une seconde : celle-ci, vous la répudiez : je suis enfin la troisième. Vous jugez des autres par vous-même, et c’est pour cela que vous en jugez mal. Pour ce qui est de nous autres femmes mariées à des philosophes, qui faisons profession, comme eux, d’une vertu austère, il nous est bien moins permis de nous remarier : si nous le faisions, nous deviendrions un objet de risée. Mais encore, à quoi bon ce langage, et quel plaisir prenez-vous à me chagriner ? Vous vous portez bien ; et pourquoi chercher à me déplaire, en faisant la désagréable supposition que vous êtes mort, et que ...

Alors, sans rien dire davantage, elle se jette sur l’éventail que son mari tenait à la main : elle le lui arrache, et de dépit elle le met en pièces. Calmez-vous, dit Tchouang tse, votre vivacité me fait plaisir, et je suis