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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/439

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moins vous marquer mon attachement et ma reconnaissance, en restant ici en deuil pendant l’espace de cent jours. Après ces dernières paroles il se prosterna encore quatre fois, arrosant la terre de ses larmes.

Ensuite il demanda à voir la dame pour lui faire son compliment : elle s’excusa deux ou trois fois de paraître. Quang sun (c’est le nom de ce jeune seigneur) représenta que selon les anciens rits, les femmes pouvaient se laisser voir, lorsque les intimes amis de leur mari lui rendaient visite. J’ai encore, ajouta-t-il, plus de raison de jouir de ce privilège, puisque je devais loger chez le savant Tchouang tse en qualité de son disciple.

À ces instances la dame se laisse fléchir : elle sort de l’intérieur de sa maison, et d’un pas lent elle s’avance dans la salle pour recevoir les compliments de condoléance : ils se firent en peu de mots, et en termes généraux.

Dès que la dame vit les belles manières, l'esprit et les agréments de ce jeune seigneur, elle en fut charmée, et elle sentit au fond de l’âme les mouvements d’une passion naissante, qu’elle ne démêlait pas bien elle-même, mais qui lui firent souhaiter qu’il ne s’éloignât pas si tôt.

Ouang sun la prévint en disant : Puisque j’ai eu le malheur de perdre mon maître, dont la mémoire me sera toujours chère, j’ai envie de chercher ici près un petit logement, où je resterai les cent jours de deuil, puis j’assisterai aux funérailles. Je serais bien aise aussi de lire durant ce temps-là les ouvrages de cet illustre philosophe : ils me tiendront lieu des leçons dont je suis privé.

Ce sera un honneur pour notre maison, répondit la dame ; je n’y vois d’ailleurs aucun inconvénient ; sur quoi elle prépara un petit repas, et le fit servir. Pendant le repas elle ramassa sur un bandege bien propre les compositions de Tchouang tse : elle y joignit le livre Tao te, présent du fameux Lao tse, et elle vint offrir le tout à Ouang sun, qui le reçut avec sa politesse naturelle.

A côté de la salle du mort où était le cercueil, il y avait sur une des ailes, deux chambres qui regardaient cette salle toute ouverte par-devant : elles furent destinées au logement du jeune seigneur. La jeune veuve venait fréquemment dans cette salle pour pleurer sur le cercueil de son mari : puis en se retirant, elle disait quelques mots d’honnêteté à Ouang sun, qui se présentait pour la saluer. Dans ces fréquentes entrevues, bien des œillades échappaient, qui trahissaient les cœurs de l’un et de l’autre.

Ouang sun était déjà à-demi pris, et la jeune veuve l’était tout à fait ; ce qui lui faisait plaisir, c’est qu’ils se trouvaient placés à la campagne, et dans une maison peu fréquentée, où les manquements aux rits du deuil ne pouvaient guère éclater. Mais comme il coûte toujours à une femme de faire les premières démarches, elle s’avisa d’un expédient. Elle fit venir secrètement le vieux domestique du jeune seigneur. Elle lui fit d’abord boire quelques coups de bon vin ; elle le flatta et l’amadoua ; ensuite elle vint insensiblement jusqu’à lui demander si son maître était marié ?