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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/440

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Pas encore, répondit-il. Eh ! continua-t-elle, quelles qualités voudrait-il trouver dans une personne, pour en faire son épouse ?

Le valet, que le vin avait rendu gai, répliqua aussitôt : je lui ai ouï dire, que s’il en trouvait une qui vous ressemblât, il serait au comble de ses désirs. Cette femme sans pudeur répartit incontinent : Ne mens-tu point ? M’assures-tu qu’il ait parlé de la sorte ? Un vieillard comme moi, répondit-il, serait-il capable de mentir, et aurait-il le front d’en imposer à une personne de votre mérite ? Hé bien ! poursuivit-elle : tu es très propre à ménager mon mariage avec ton maître : tu ne perdras pas ta peine : parle-lui de moi, et si tu vois que je lui agrée, assure-le que je regarderais comme un grand bonheur d’être à lui.

Il n’est pas besoin de le sonder sur cet article, dit le valet, puisqu’il m’a avoué franchement qu’un pareil mariage serait tout à fait de son goût. Mais, ajoutait-il, cela n’est pas possible, parce que je suis disciple du défunt : on en gloserait dans le monde.

Bagatelle que cet empêchement, reprit la veuve passionnée ! Ton maître n’a point été réellement disciple de Tchouang tse : il n’avait fait que promettre de le devenir ; ce n’est pas l’avoir été. D’ailleurs étant à la campagne et à l’écart, qui songerait à parler de notre mariage ? Va, quand il surviendrait quelque autre empêchement, tu es assez habile pour le lever et je reconnaîtrai libéralement tes services. Elle lui versa en même temps plusieurs coups d’excellent vin, pour le mettre en bonne humeur.

Il promit donc d’agir, et comme il s’en allait, elle le rappela. Écoute, dit-elle, si ce seigneur accepte mes offres, viens au plus tôt m’en apporter la nouvelle à quelque heure du jour et de la nuit que ce soit ; je t’attendrai avec impatience.

Depuis qu’elle l’eut quitté, elle fut d’une inquiétude extraordinaire : elle alla bien des fois dans la salle sous divers prétextes ; mais au fond, c’était pour approcher un peu de la chambre du jeune seigneur. A la faveur des ténèbres elle écoutait à la fenêtre de la chambre, se flattant qu’on y parlait de l’affaire qu’elle avait si fort à cœur.

Pour lors passant assez près du cercueil, elle entendit quelque bruit ; elle tressaillit de peur. Hé ! quoi, dit-elle, toute émue, serait-ce que le défunt donnerait quelque signe de vie ? Elle rentre au plus tôt dans sa chambre, et prenant la lampe, elle vient voir ce qui avait causé ce bruit. Elle trouve le vieux domestique étendu sur la table posée devant le cercueil pour y brûler des parfums, et y placer des offrandes à certaines heures. Il était là à cuver le vin que la dame lui avait fait boire. Toute autre femme aurait éclaté à une pareille irrévérence à l’égard du mort. Celle-ci n’osa se plaindre, ni même éveiller cet ivrogne. Elle va donc se coucher : mais il ne lui fut pas possible de dormir.

Le lendemain elle rencontra ce valet, qui se promenait froidement, sans songer même à lui rendre réponse de sa commission. Ce froid, et ce silence la désolèrent. Elle l’appela, et l’ayant introduit dans sa chambre : Eh bien, dit-elle, comment va l’affaire dont je t’ai chargé ? Il n’y a