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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/441

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rien à faire, répondit-il sèchement. Eh ! pourquoi donc, reprit cette femme effrontée ? Sans doute tu n’auras pas retenu ce que je t’ai prié de dire de ma part, ou tu n’as pas su le faire valoir. Je n’ai rien oublié, poursuivit le domestique : mon maître a été même ébranlé : il trouve l’offre avantageuse, et est satisfait de ce que vous avez répliqué sur l’obstacle qu’il trouvait d’abord dans sa qualité de disciple de Tchouang tse. Ainsi cette considération ne l’arrête plus. Mais, m’a-t-il dit, il y a trois autres obstacles insurmontables, et j’aurais de la peine à les déclarer à cette jeune veuve.

Voyons un peu, reprit la dame, quels sont ces trois obstacles. Les voici, poursuivit le vieux domestique, tels que mon maître me les a rapportés. 1° Le cercueil du mort étant exposé encore dans la salle, c’est une scène bien lugubre : comment pourrait-on s’y réjouir et célébrer des noces ? 2° L’illustre Tchouang ayant si fort aimé sa femme, et elle ayant témoigné pour lui une si tendre affection, fondée sur sa vertu et sa grande capacité, j’ai lieu de craindre que le cœur de cette dame ne reste toujours attaché à son premier mari, surtout lorsqu’elle trouvera en moi si peu de mérite. 3° Enfin, je n’ai pas ici mon équipage ; je n’ai ni meubles, ni argent : où prendre des présents de noces, et de quoi faire des repas ? dans le lieu où nous sommes, je ne trouverais pas même à qui emprunter. Voilà, Madame, ce qui l’arrête.

Ces trois obstacles, répondit cette femme passionnée, vont être levés à l’instant, et il ne faut pas beaucoup y rêver. Quant au premier article : cette machine lugubre, que renferme-t-elle ? Un corps inanimé, un cadavre infect, dont il n’y a rien à espérer, et qu’on ne doit pas craindre. J’ai dans un coin de mon terrain une vieille masure : quelques paysans du voisinage que je ferai venir, y transporteront cette machine, sans qu’elle paraisse ici davantage. Voilà déjà un obstacle de levé.

Quant au second article. Ah ! vraiment feu mon mari était bien ce qu’il paraissait être, un homme d’une rare vertu et d’une grande capacité. Avant que de m’épouser, il avait déjà répudié sa seconde femme : c’était un beau ménage, comme tu vois. Sur le bruit de sa réputation, qui était assez mal fondé, le dernier roi de Tsou lui envoya de riches présents, et voulut le faire son premier ministre. Lui, qui sentait son incapacité très réelle, et qui vit qu’elle éclaterait dans un pareil emploi, prit la fuite, et vint se cacher dans ce lieu solitaire. Il n’y a qu’un mois que se promenant seul au bas de la montagne, il rencontra une jeune veuve, occupée à faire sécher à coups d’éventail l’extrémité supérieure du tombeau de son mari, parce qu’elle ne devait se remarier que quand il serait sec. Tchouang l’accosta, la cajola, lui ôta des mains l’éventail, et se mit à en jouer pour lui plaire, en séchant au plus vite le tombeau. Ensuite il voulut retenir cet éventail, comme un gage de son amitié, et l’apporta ici : mais je le lui arrachai des mains et le mis en pièces. Étant sur le point de mourir, il remit cette histoire sur le tapis, ce qui nous brouilla encore ensemble. Quels bienfaits ai-je reçu de lui, et quelle amitié m’a-t-il tant témoignée ? Ton maître est jeune ;