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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/95

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les merveilles et les apparitions dont vous parlez. On voit des hommes, dont les talents sont extraordinaires, et qui se distinguent du commun par leur courage et leur vertu. Il arrive quelquefois qu’ils sont opprimés par la calomnie, ou qu’une mort précipitée les enlève, sans qu’ils aient laissé après eux de postérité. Ces hommes si extraordinaires et si distingués des autres, ont une âme peu commune, qui ne se dissipe pas aisément. Les âmes de ce caractère se retirent la plupart dans les pagodes, et y produisent des évènements qui surprennent. On parle d’un Ouen tien tsiang, qui fut massacré sous la dynastie des Yuen ; d’un Yu tchung tsiao qui périt misérablement sous les Ming : leurs grandes actions ont fait croire aux peuples qu’après leur mort ils étaient devenus tching huang, ou gardiens des villes.

Ce qui fait le mérite d’un homme pendant sa vie, c’est le ki, cet air spiritueux, qui peut subsister encore quelque temps après sa mort : lorsque cet air opère des effets merveilleux, on l’attribue aux esprits, ou des rochers escarpés, ou des lieux montagneux, ou des rivières, ou des villes. Mais tout ce qu’on voit, arrive nécessairement, et selon les lois de la nature. Croira-t-on que ces esprits reçoivent leur rang par le moyen d’un ordre impérial, qui leur distribue leurs fonctions ? Est-il au pouvoir d’un mortel d’assigner à tel et tel esprit la charge de présider à telles et telles productions ? Ce qu’on nomme esprits, n’est autre chose que les montagnes, les rivières, les campagnes, les villes, où, selon le cours naturel des choses, il arrive quelquefois des effets surprenants et peu ordinaires. Il est donc ridicule de dire que tel homme, dont on a connu autrefois le nom et le surnom, est maintenant un esprit qu’on doit honorer.

Permettez-moi de vous dire, répliqua un de l’assemblée, que votre réponse ne me satisfait pas. Ce qui tient le premier rang dans un grand homme, c’est, dites-vous, son ki, son âme. Voulez-vous donc attribuer

    déchaînés contre l’idolâtrie populaire, avoir souvent recours au tching loang. Notre philosophe ne fait ici que chicaner sur le nom de tching hoang : le raisonnement dont il se sert, est assez semblable à celui que certains Chinois opposent aux missionnaires sur le nom de Tien tchu, c’est-à-dire, Seigneur du Ciel, qu’on donne à Dieu. Avant que le ciel fût créé, disent-ils, et ils croient dire merveilles, il ne pouvait y avoir un Tien tchu, un seigneur de ce qui n’était pas ; votre Tien tchu a donc commencé tout au plus avec le ciel ? Comme on raconte beaucoup de faits singuliers, vrais ou faux, qui prouvent la protection accordée par les tching hoang aux villes et aux habitants, et que d’ailleurs ce culte est reconnu et en usage dans la secte littéraire, notre athée se donne la torture pour ajuster ces idées communes à son système. Il y a certaines âmes, dit-il, qui ne se dissipent point au sortir du corps, qui subsistent encore, et qui cherchant un domicile, s’arrêtent à la demeure des tching hoang, où elles opèrent les merveilles qu’on raconte. Il eût été bien plus embarrassé si en lui répondant conformément à son extravagant système, on lui eût dit : vous, qui vous applaudissez d’avoir secoué le joug d’un maître suprême, en refusant de le reconnaître ; que savez-vous si les âmes de vos plus grands ennemis ne seront pas du nombre de celles qui subsistent encore après la mort ? Ces âmes n’étant plus retenues par la crainte des lois, et vous n’ayant pas le pouvoir de les éviter, que n’avez-vous pas à craindre de leur colère et de leur vengeance ?