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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/96

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à ces restes d’un grand homme tout ce qui arrive d’extraordinaire, et qui semble être contre l’ordre naturel des choses connues ? Je demeurais, il y a quelque temps, à Tchung tcheou. Là, je vis des saules qui produisirent de petits marmousets de figure humaine, qui avaient environ deux pouces de hauteur. Vers ce temps-là il plut du riz noir dans le Kiang si : à Tchu tcheou il tomba du ciel des têtes d’hommes, qui n’étaient guère plus grosses qu’un pois, et où cependant l’on remarquait les yeux, la bouche, et le nez très bien formés. Ces évènements ont été publics : des gens sages les croient quand on les rapporte ; et vous ne devez pas dire qu’ils sont arrivés selon l’ordre naturel.

Confucius, répondit le philosophe, ne s’amusait point à parler de ces esprits connus par leurs prestiges. Ce n’est pas qu’il ignorât que quand un État est menacé de révolution, on ne voit arriver quelquefois de ces prodiges, qui sont comme les avant-coureurs de quelque malheur prochain. Ce sage par excellence se contentait de dire, qu’il ne fallait pas trop aisément ajouter foi à ces sortes de merveilles, qui ne sont propres qu’à répandre le trouble et la frayeur dans les esprits, et c’est parce que la secte de Fo a recours à cet artifice pour effrayer les peuples, qu’on la regarde comme une fausse et dangereuse secte. Je conviens qu’à la veille de quelque évènement funeste[1], aux approches, par exemple, d’une famine, ou d’une grande mortalité, les cinq éléments se confondent, et qu’il en sort des monstres, mais si dans ces conjonctures les hommes travaillent sérieusement à réformer leurs mœurs, et à pratiquer la vertu, tous ces présages deviennent inutiles, et s’en vont en fumée.

Vous ne voulez donc point, s’écria l’un des assistants, regarder les esprits immortels, comme les auteurs de ces prodiges. Les attribuer, comme vous faites, aux seules causes naturelles, n’est-ce pas quelque chose de plus inconcevable ? Je vais vous en convaincre par un seul exemple. Sous la dynastie des Ming, dans la ville de Ten sé de la province de Ho nan, il mourut un homme du peuple appelle Tchu, et surnommé Tien pao. Le troisième jour depuis son enterrement, sa femme prit du vin et quelques légumes, et partit pour se rendre à la sépulture de son mari, où elle devait lui faire cette petite offrande : s’étant arrêtée en chemin auprès d’un rocher, il en sortit tout à coup un éclair accompagné d’un bruit effroyable. Au même instant un quartier de la roche tombe, et laisse entrevoir dans un espace vide un coffre de pierre. Cette femme s’approche

  1. Notre philosophe n’oserait nier ce qui est si souvent répété dans le Chu king ; que certains signes qui arrivent, sont des avertissements que donne le Chang ti de quelque prochain malheur, à moins qu’on ne le prévienne par la réformation des mœurs : mais voulant accorder cette doctrine à son système, il fait le plus pitoyable raisonnement du monde : car enfin peut-il y avoir selon les lois de la nature, comme il le suppose, des présages certains d’évènements incertains, & qui dépendent de la volonté libre & changeante des hommes ? Peut-on s’empêcher de reconnaître une intelligence supérieure qui mette de la liaison entre le présage d’une comète, ou d’un tremblement de terre, & l’évènement d’une sédition populaire, ou du renversement d’un trône ?