Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour mieux le considérer : et au travers d’une large fente qui se trouva au coffre, elle aperçoit qu’il renferme un sabre, dont la poignée était précieuse, et un livre qui ressemblait fort à un livre de magie. Elle prend ce livre, et s’en retourne chez elle. Aussitôt elle se met à le feuilleter, et à en étudier le sens : après quoi elle se mêla de prédire à ses voisins plusieurs évènements, qui arrivèrent tels qu’elle les avait annoncés.

Les habitants du lieu qui en furent témoins, conçurent pour elle un si grand respect, qu’ils ne l’appelèrent plus que la mère Fo. En moins d’un an, cette nouvelle prophétesse eut une vogue étonnante, et elle traîna à sa suite plus de dix mille personnes : aussi faisait-elle des choses prodigieuses. A l’aide de son livre de magie, elle n’avait qu’à souffler sur un champ plein de blé, ou de riz déjà monté, tout se changeait aussitôt en hallebardes et en épées ; et l’on croyait voir les plus épais bataillons. En prononçant une seule parole, d’un escabeau elle en faisait un tigre ou un léopard : en un instant elle transformait une faible enceinte de pieux en de hautes murailles environnées de fossés. Enfin voici à quoi aboutit tout ce manège.

Un jour qu’on s’y attendait le moins, se fit une révolte presque générale ; les mandarins d’armes accoururent promptement avec des troupes, et songèrent à se saisir des chefs : ils trouvèrent plus de résistance qu’ils ne croyaient, et il se donna un combat très sanglant : mais enfin les rebelles succombèrent. La magicienne se trouva parmi les prisonniers. Elle fut jetée dans un cachot, chargée de chaînes, et elle y resta trois jours, sans avoir jamais pu s’évader. Son art l’abandonna dès qu’elle fut dans les fers. Mais enfin n’avouerez-vous pas que cette femme eût été incapable d’opérer de semblables prodiges, si elle n’avait été aidée par nos immortels ?

Ce que je vous avouerai, dit le philosophe, c’est que quelques magiciens, ou gens de cette espèce, qui prétendent au rang des immortels, ont pu dérober[1] au ciel et à la terre la connaissance d’un changement qui devait sûrement arriver dans la nature. Après cette furtive découverte ils ont composé le livre où ils ont marqué les évènements futurs ; ensuite ils ont caché ce livre dans le sein du rocher. Lorsque le temps fatal de la révolte était prêt d’arriver, selon le cours des choses naturelles, alors les enchanteurs ont paru ; ils ont été écoutés, et ont favorisé cette révolte, où tant de gens ont péri par le glaive.

Au reste, bien que la situation du ciel et de la terre ait amené ces malheurs inévitables, cependant l’audace criminelle de ces magiciens, qui ont empiété sur les droits du ciel, en perçant dans les secrets de l’avenir, n’échappera pas au terrible châtiment qui lui dû. Ceux qui consultent, ou

  1. Ce vol fait au ciel et à la terre par les magiciens, est, comme on voit, un pur galimatias ; ce qui prouve, que pour rendre ridicule le système d’un philosophe, qui attribue tout aux causes naturelles, il suffit de le faire raisonner sur la nature. Rien n’est plus capable de découvrir son extravagance, et de confondre son orgueil.