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ASCANIO.

regards que cette femme jetait tantôt sur toi, à la façon dont elle a su t’apparaître, je te jure qu’elle t’aime ; et à l’enthousiasme avec lequel tu la défendais tout à l’heure, j’ai bien peur que tu ne l’aimes aussi. Alors, vois-tu, cher Ascanio, tu serais perdu : assez ardent pour tout consumer en toi, cet amour, quand il te quitterait, te laisserait sans une illusion, sans une croyance, sans un espoir, et tu n’aurais plus d’autre ressource que d aimer à ton tour comme on t’aurait aimé, d’un amour empoisonné et fatal, et de porter dans d’autres cœurs ce ravage qu’on aurait fait dans le tien.

— Maître, dit Ascanio, je ne sais si madame d’Étampes m’aime, mais, à coup sûr, je n’aime pas madame d’Étampes, moi.

Benvenutone fut rassuré qu’à demi par l’air de sincérité d’Ascanio, car il pensait qu’il pouvait s’abuser lui-même sur ce sujet. Il n’en reparla donc plus, et dans les jours qui suivirent, il regardait souvent l’apprenti avec tristesse.

D’ailleurs, il faut dire qu’il ne paraissait pas inquiet pour le compte d’Ascanio. Lui-même semblait tourmenté de quelque souci personnel. Il avait perdu sa franche gaîté, ses boutades originales d’autrefois, il restait toujours enfermé le matin dans sa chambre au-dessus de la fonderie, et avait expressément défendu qu’on vînt l’y troubler. Le reste du jour, il travaillait à la statue gigantesque de Mars avec son ardeur accoutumée, mais sans en parler avec son effusion ordinaire. C’est surtout en présence d’Ascanio qu’il paraissait sombre, embarrassé et comme honteux. Il semblait fuir son cher élève comme un créancier ou comme un juge. Enfin, il était aisé de voir que quelque grande douleur