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ASCANIO.

quelque terrible passion était entrée dans cette âme vigoureuse et la ravageait.

Ascanio n’était guère plus heureux ; il était persuadé, ainsi qu’il l’avait dit à madame d’Étampes, que Colombe ne l’aimait pas. Le comte d’Orbec, qu’il ne connaissait que de nom, était pour sa jalousie un jeune et élégant seigneur, et la fille de messire d’Estourville, l’heureuse fiancée d’un beau gentilhomme, n’avait pas songé une minute à un obscur artiste. Eût-il d’ailleurs gardé le vague et fugitif espoir qui jamais n’abandonne un cœur rempli d’amour, il s’était fermé toute chance à lui-même en dénonçant à madame d’Étampes, s’il était vrai que madame d’Étampes l’aimât, le nom de sa rivale. Ce mariage, qu’elle aurait eu peut-être le pouvoir d’empêcher, elle le hâterait maintenant de toutes ses forces ; elle poursuivrait de toute sa haine la pauvre Colombe. Oui, Benvenuto avait raison : l’amour de cette femme était en effet formidable et mortel, mais l’amour de Colombe devait être ce sublime et céleste sentiment dont le maître avait parlé d’abord, et c’était à un autre, hélas ! qu’était réservé tout ce bonheur.

Ascanio était au désespoir ; il avait cru à l’amitié de madame d’Étampes, et cette trompeuse amitié, c’était un dangereux amour ; il avait espéré l’amour de Colombe, et cet amour menteur n’était qu’une indifférente amitié. Il se sentait près de haïr ces deux femmes, qui avaient si mal répondu à tous ses rêves, en l’aimant chacune comme il aurait voulu être aimé de l’autre.

Tout absorbé par un morne découragement, il ne songeait pas même au lis commandé par madame d’Étampes, et dans son jaloux dépit, il n’avait plus voulu retourner au Petit-Nesle, malgré les supplications et les reproches de