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ASCANIO.

fance me l’a toujours fait penser. Vous avez pour armes une salamandre, n’est-ce pas ?

— Oui, avec cette devise : Nutrisco et extinguo.

— Eh bien ! j’avais cinq ans environ, j’étais avec mon père dans une petite salle où l’on avait coulé la lessive et où flambait encore un bon feu de jeune chêne. Il faisait grand froid. En regardant par hasard dans le feu, j’aperçus au milieu des flammes un petit animal semblable à un lézard, qui se récréait dans l’endroit le plus ardent. Je le montrai à mon père, et mon père (pardonnez-moi ce détail familier d’un usage un peu brutal de mon pays), m’appliquant un violent soufflet, me dit avec douceur : « Je ne te frappe pas parce que tu as mal fait, cher enfant, mais afin que tu te rappelles que ce petit lézard que tu as vu dans le feu est une salamandre. Aucune personne connue n’a vu cet animal avant toi. » N’est-ce pas là, sire, un avertissement du sort ? Il y a, je crois, des prédestinations, et j’allais à vingt ans partir pour l’Angleterre quand le ciseleur Pierre Toreggiano, qui voulait m’y emmener avec lui, me raconta comment, enfant, dans une querelle d’atelier, il avait un jour frappé au visage notre Michel-Ange. Oh ! tout a été dit : pour un titre de prince je ne serais pas parti avec un homme qui avait porté la main sur mon grand sculpteur. Je restai en Italie, et de l’Italie, au lieu d’aller en Angleterre, je vins en France.

— La France, fière d’avoir été choisie par vous, Benvenuto, fera en sorte que vous ne regrettiez pas votre patrie,

— Oh ! ma patrie à moi, c’est l’art ; mon prince, c’est celui qui me fait ciseler la plus riche coupe.