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Choisir avec son cœur parmi tous un seul homme,
Qu’on aimera ; — l’aimer, — visiter Paris, Rome ;
Être seule avec soi… n’avoir pas toujours là
Le monde qui vous dit : « Ne faites pas cela. »
N’être plus d’aucun poids au mouvant équilibre
De ce monde ; — voilà ce que c’est qu’être libre.

(Elle entend du bruit et se retourne.)

Le prince. Ah ! bien. —

(À Paula.)

Le prince. Ah ! bien. — Passez dans cet appartement,
Jeune homme, et laissez-nous…

(Paula sort.)

Scène III.

CHRISTINE, CHARLES-GUSTAVE.
GUSTAVE.

Jeune homme, et laissez-nous… Ô Majesté ! comment
Pourrai-je ?…

CHRISTINE.

Pourrai-je ?… Écoutez-moi, la circonstance est grave,
Et j’ai de hauts desseins sur vous, Charles-Gustave.
Il m’a plu vous nommer un jour grand amiral,
Puis gouverneur d’Heilbron, ensuite général
De mes troupes, puis duc, et puis encore prince
Palatin de Pologne, avec une province
À vous, et puis enfin présomptif héritier
Du trône, s’il advient qu’avec moi tout entier
Mon nom meure ; à la cour pas un qui ne vous cède
Le pas, car je vous ai fait le second en Suède ;
Mais ce n’est point assez, et pour vous et pour moi,
Il me plaît aujourd’hui que je vous fasse roi…
Vous l’êtes !

CHARLES-GUSTAVE.

Vous l’êtes ! Majesté, que votre auguste aïeule…

CHRISTINE.

Il me plaît maintenant que vous me laissiez seule :
J’irai vous retrouver lorsqu’il en sera temps…

(Charles-Gustave entre dans l’appartement de Christine.)

Scène IV.

CHRISTINE, puis MONALDESCHI.
CHRISTINE sonnant ; un page entre.

Appelez le marquis. —

(Monaldeschi entre.)

Appelez le marquis. — Marquis, je vous attends.

MONALDESCHI.

Majesté ! me voici, prêt à suivre ou transmettre
Vos ordres.

CHRISTINE.

Vos ordres. Ce n’est point cela : venez vous mettre
Ici. Pour vous parler j’ai de fortes raisons !
Asseyez-vous, marquis, sur ce siège, et causons.

MONALDESCHI, regardant autour de lui.

Madame… ?

CHRISTINE.

Madame… ? Nul ne peut nous voir ni nous surprendre.
Quittez donc l’étiquette.

MONALDESCHI.

Quittez donc l’étiquette. Oh ! si j’ose comprendre,
Vous daignez m’accorder un de ces doux moments
Qui me feraient sourire au milieu des tourments
Les plus affreux.

CHRISTINE.

Les plus affreux. Marquis, toujours je vous écoute
Avec joie, et pourtant le ciel sait que je doute…

MONALDESCHI.

Vous doutez ! ô mon Dieu ! dis-moi, pour rassurer
Le cœur aimé qui craint, par quoi faut-il jurer ?
Quel est le saint puissant, la puissante madone
Qui, lorsqu’on jure en vain, jamais ne le pardonne !
Dis-moi leurs noms, mon Dieu, car je veux aujourd’hui,
Pour rassurer son cœur, jurer par elle et lui.

CHRISTINE.

Point de serments, marquis ; l’éclat qui m’environne,
Le feu des diamants que jette ma couronne,
N’a-t-il pas, dis-le-moi, de ton esprit vainqueur,
Plus ébloui tes yeux que moi séduit ton cœur ?

MONALDESCHI.

Christine ! pourquoi me faire cette injure ?
Moi t’aimer pour ton rang ? Oh ! non, je te le jure,
Que, quel que fût le rang que le ciel t’eût donné,
J’aurais aimé ton front même découronné,
Partout… oui, si j’avais vu dans l’Andalousie
Tes yeux noirs à travers la verte jalousie,
J’aurais aimé tes yeux ! Le théorbe à la main,
Assise au fût brisé d’un vieux tombeau romain,
Chantant un chant d’amour, si je t’avais trouvée,
J’aurais aimé ton chant, car je t’avais rêvée,
Et, de mon vague amour éprouvant le pouvoir,
Je croyais te connaître avant que de te voir.
Oh ! oui, j’avais osé, dans mes songes de l’âme,
Créer un ange à moi sous des formes de femme ;
Il avait ce regard et ce sourire-là,
Et lorsque je te vis, je dis : Oh ! le voilà !

CHRISTINE.

Que les yeux du Seigneur regardent dans ton âme
Si tu dis vrai, marquis ; car jamais une femme
Dans son amour puissant ne fera pour un roi
Ce que, reine, aujourd’hui je vais faire pour toi !
Qu’on ouvre.

(On ouvre ; tous les courtisans entrent.)

Qu’on ouvre. Je reviens avec sceptre et couronne.
Attendez-moi, marquis.

MONALDESCHI.

Attendez-moi, marquis. Où, reine ?

CHRISTINE.

Attendez-moi, marquis. Où, reine ? Au pied du trône.

(Elle rentre, le marquis lui baise la main et va se placer le pied sur la première marche du trône.)