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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/260

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moi sans que je fusse préparé : la réalité m’a tué sur place.

— C’est encore bien fait, Gilbert ; car un homme, dans la situation ou tu te trouves, ressemble aux éclaireurs d’une armée. Ces gens-là ne doivent marcher que le mousqueton au poing droit et la lanterne sourde au poing gauche.

— Enfin, monsieur, j’ai échoué ; mademoiselle Andrée m’a appelé scé1lérat, assassin, et m’a dit qu’elle me ferait tuer.

— Bon ! mais son enfant ?

— Elle m’a dit que son enfant était à elle, non à moi.

— Après ?

— Après, je me suis retiré.

— Ah !…

Gilbert releva la tête.

— Qu’eussiez-vous fait, vous ? dit-il.

— Je ne sais pas encore ; dis-moi ce que tu veux faire.

— La punir de ce qu’elle m’a fait subir d’humiliations.

— C’est un mot, cela.

— Non, monsieur, c’est une résolution.

— Mais… tu t’es laissé peut-être arracher ton secret… ton argent ?

— Mon secret est à moi, et je ne le laisserai prendre à personne ; l’argent était à vous, je le rapporte.

Et Gilbert ouvrit sa veste et en tira les trente billets de caisse qu’il compta minutieusement en les étalant sur la table de Balsamo.

Le comte les prit, les plia, toujours en observant Gilbert, dont le visage ne trahit pas la plus légère émotion.

— Il est honnête, il n’est pas avide… Il a de l’esprit, de la fermeté : c’est un homme, pensa-t-il.

— Maintenant, monsieur le comte, dit Gilbert, j’ai à vous rendre raison de deux louis que vous m’avez donnés.

— N’exagère rien, répliqua Balsamo ; c’est beau de rendre cent mille écus, c’est puéril de rendre quarante-huit livres.

— Je ne voulais pas vous les rendre ; je voulais seulement vous dire ce que j’ai fait de ces louis, afin que vous sachiez pertinemment que j’ai besoin d’en avoir d’autres.