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le caucase

Treize ans après, la ville d’Erivan s’élevait sur le champ de bataille même où Erovan, qui avait chassé Ardachès du trône d’Arménie, est battu par les Perses.

Un soldat de fortune, adopté par Néron, monte sur le trône romain, qui est devenu le trône du monde. Les peuplades caucasiques le voient apparaître l’année même de son avénement, vainqueur de l’Arménie, de l’Ibérie et de la Colchide. Il donne un roi aux Albanais et disparaît dans la direction de l’Euphrate, où il va branler jusqu’en ses fondements l’empire des Arsacides, qui ne tombera que trois siècles plus tard.

Ce parvenu, c’est l’homme sous lequel le monde se reposera un instant des règnes de Caligula, de Claude et de Néron. C’est Trajan.

Un demi-siècle après, l’avant-garde des nations fauves, entrevues par César, apparaît dans le Caucase. Ce sont les Goths, vainqueurs des Scandinaves, des Cimbres, des Venèdes, des Burgunds, des Laziges et des Finnois. Ils chassent devant eux les Alains, qui errent avec leurs troupeaux dans les vastes steppes que nous allons parcourir, et s’établissent sur les bords de la mer Noire, où les Huns les rencontreront à leur tour et les dévoreront en passant.

Pendant ce temps, se fonde la nouvelle capitale de l’Arménie. Vagaschapade, aujourd’hui le village du même nom qui entoure le monastère d’d’Etschmiadzine. Mais à peine la ville est-elle achevée, que les Khasars frappent à leur tour aux portes caucasiennes, que ne garde plus la mémoire d’Alexandre. Ils viennent des plaines du bas Volga, traversent le défilé de Darius, — la tradition voulait que ce fût ce roi des Perses qui eût donné son nom au Darial, — se répandent dans l’Arménie ; après avoir forcé les Avares à se retirer dans les gorges de Guimry, où nous retrouverons leurs restes en gravissant les sommets du Karanaïe, et assistent à la révolution qui met les Sassanides de Perse sur le trône de Géorgie.

Vers la même époque, le lion couché aux bords du Tibre étend de nouveau sa griffe vers le Caucase. L’empereur Tacite, qui avait fait valoir, pour monter sur le tronc romain, qu’il comptait le grand historien parmi ses ancêtres, avait été, à l’âge de soixante-dix ans, élu par le sénat.

Il avait été élu, disait l’arrêté du sénat, — à cause de ses vertus.

Aussi fut-il assassiné au bout de six mois. Ces empereurs vertueux ne vont pas aux peuples en décadence.

Pendant ses six mois de règne, il battit les Goths et repoussa les Alains dans les gorges du Caucase.

Profitant de l’instant de repos que donne cette victoire, Tiridate II devient roi de l’Arménie. Le christianisme s’établit dans son royaume. Le monastère d’Etschmiadzine est fondé à la voix de sainte Nina, les croix s’élèvent à la place des idoles.

Tiridate meurt après avoir chassé les Khasars de l’Arménie et de la Géorgie.

Bakhouri Ier, roi de Géorgie, — nous devrions dire, roi d’Ibérie, — car la Géorgie, proprement dite, n’existe qu’à partir du douzième siècle, et n’est nommée de ce nom que par Mekhisar d’Airivank, historien arménien qui vivait au treizième. Bakhouri Ier fait la guerre aux Perses, qui ont vaincu l’Arménie, et qui est, d’un autre côté, menacée par les barbares du Nord.

Ces derniers sont repoussés par Waghan Amatouni qui les bat à Vagaschapade, sur le même champ de bataille où les Russes battront les Perses en 1827.

Mais les Perses pénétrent à leur tour jusqu’au pied des montagnes du Caucase, et bâtissent une forteresse à l’endroit où, un siècle plus tard, le roi Wachtang jettera les fondements de Tiflis.

Pendant ce temps, l’Arménie arrête les bases de sa langue moderne, et la future Géorgie fonde son écriture sacrée.

L’heure des Arsacides est arrivée ; cette dynastie qu’a vainement voulu renverser Trajan, est remplacée par les Sassanides, qui succèdent aux rois Parthes et qui précèdent les califes musulmans. Son premier souverain voit Wachtang Gourgaslan monter sur le trône de Géorgie, fonder Tiflis, conquérir la Mingrélie et l’Abasie, repousser les Perses et soumettre les Osses et les Petchenèges.

Wachtang Ier meurt en 499, au moment où les Arméniens se jettent dans l’hérésie, et où les Suèves, qui vont être entraînés par les Huns dans leur course vers l’occident, apparaissent dans l’ancien royaume de Mithridate.

C’est alors que le Caucase entend retentir jusque dans ses vallées les plus profondes, les pas de ce peuple qui, dans sa marche, va couvrir la moitié du monde et emplir l’autre de bruit. Il vient des grands plateaux du Thibet, au nord du désert de Koubi ; il a soumis les Mantchoux, forcé les Chinois d’élever la grande muraille, et séparé en deux hordes immenses, il se répand, comme un double déluge, aux deux côtés de la mer Caspienne. Les uns s’arrêteront sur les bords de l’Oxus, dans le Turkestan actuel, ou ils auront pour capitale l’ancienne Baktriane, et finiront, après avoir longtemps lutté contre les Perses, par se confondre avec les Turcs.

Ce sont les Huns blancs ou Eptatètes.

Les autres, les Huns noirs ou Cydarites, s’arrêteront un instant à l’ouest de la mer Caspienne, entre l’embouchure du Terek et Derbent, puis ils forceront à leur tour les portes du Darial, dont les gonds sont brisés par les Khasars ; se répandront vers l’occident, traverseront les Palus-Méotides, guidés par une biche qui leur montrera le chemin qu’ils doivent suivre pour ne pas s’engloutir dans ces vastes marais. Puis, après avoir subjugué les Alains, détruit l’empire des Goths, ils iront se briser dans les plaines de la Champagne contre la Gaule qui meurt, contre la France qui naît.

Derrière eux commence la chronologie arménienne et se fonde la dynastie des Bagratides, dont la famille est déjà célèbre depuis plus de douze cents ans.

Tout à coup un ennemi auquel on ne songeait pas apparaît dans les régions caucasiques et s’empare de Tiflis.

C’est l’empereur Héraclius, cet infatigable discuteur en théologie, fils d’un exarque d’Afrique ; il a renversé Phocas, s’est fait proclamer empereur en 610 ; mais de 610 à 621, son règne n’a été qu’un long désastre. Les Avares lui ont pris l’Asie Mineure et les Perses l’Égypte. Presque réduit aux murs de Constantinople, il a fait un suprême effort ; il s’est mis à la tête de son armée, a battu Chosroès II, reconquis l’Asie Mineure et a pénétré jusqu’au pied du Caucase.

Mais pendant qu’il remonte vers le nord, les lieutenants de calife Abou-Beker lui prennent Damas. Jérusalem se rend au calife Omar : la Mésopotamie, la Syrie et la Palestine se détachent de lui.

En compensation de ces revers, c’est à lui que Dieu réserve la gloire de recouvrer la vraie croix. Il la reçut des mains de Syroès.

Alors vient le tour des Arabes. C’est l’époque des grands mouvements des peuples. On dirait que chaque nation mal à l’aise dans le berceau que la nature lui a fait, va chercher d’autres dieux et une autre patrie. Ils apportent la parole de Mahomet, qui vient de fonder leur empire. Ils se sont emparés de la Syrie, de l’Égypte, de la Perse. Ils marchent à travers l’Afrique et l’Espagne sur la France, et si Dieu, à l’heure qu’il est, ne leur préparait pas Charles-Martel, la tête et la queue du serpent oriental se fussent un jour, malgré Sobiesky, rejointes à Vienne.

Mais tandis que Justinien II, à qui ses sujets ont coupé le nez un jour de révolte, se réfugie dans l’île de Taman, tandis que Mourvan le Sourd fait invasion en Arménie et en Géorgie, que les Géorgiens arrêtent leur chronologie de la fête de Pâques de l’an 780, un autre peuple se forme de l’autre côté du Caucase, qui prendra un jour sur la terre, plus de place que n’en aura prise aucun des anciens peuples qui l’aura précédé.

Ce peuple, à peu près ignoré des Romains, qui, après avoir renversé les murailles de tous les peuples, ont été frapper aux portes du monde inconnu, est le peuple Slave, qui, parti de la Russie méridionale, a fini par envahir tout le pays qui s’étend d’Arkhangel à la Caspienne, c’est-à-dire de la mer de glace à la mer de feu. Vainement les Goths, les Huns, les Bulgares, s’étaient-ils pendant quatre siècles disputé le terrain et répandus du Volga au Dniéper, l’établissement de leurs empires successifs n’avait été qu’une halte. Comme des torrents un instant arrêtés, ils avaient repris leur cours, les uns vers l’occident, les autres vers le midi, et au milieu de cette inondation, on avait vu s’élever Novogorod la Grande et Kiew, qui, du haut de leurs murailles regardaient s’écouler ces vagues qui en avaient un instant battu le pied.

Enfin, en 862, les Slaves avaient appelé au trône de leur empire les trois princes Varègues, Rurick, Sinaff et Trouwor. Rurick avait rapidement succédé à ses deux frères, et était mort, laissant la régence de son fils Igor à son frère, homme de génie, qu’on appelait Oleg, lequel, après avoir conquis Smolensk et Lioubitz, rendu tributaires les Serviens, les Rademitches, les Drewliens, avait conduit vers Constantinople deux mille de ces hommes qu’il avait dressés à ne s’arrêter devant aucun obstacle et à ne reculer devant aucun danger.

Constantinople avait eu peur, en voyant celui qu’elle appelait un barbare, clouer contre sa porte, avec un poignard, les conditions de sa retraite : Léon VI avait souscrit à ces conditions et les Russes s’étaient retirés.

Mais en passant ils s’étaient emparés de la forteresse de Barda qui est aujourd’hui un village du district d’Elisabethpol.

C’était un pied à terre qu’ils gardaient dans la Géorgie.

Aussi, trente ans plus tard, firent-ils une invasion dans le Tabaristan et la terre de Naphte. Le chemin était frayé. Le grand-duc Sviatoslaw traverse alors tout le Kouban et vient jusqu’au pied du Caucase battre les Ossètes et les Tcherkesses.

Une garnison russe reste à Taman.

Pendant ce temps, Bagratz III, roi d’Akbasie et de Kartli, fonde la cathédrale de Kontaïs.

Dans une des inscriptions gravées sur ses murailles, on trouve les premières traces des chiffres arabes.

La cathédrale de Koutaïs porte la date de l’an 1003.

Vous avez vu les Russes s’emparer de la forteresse de Barda en