Page:Dumas - Le Caucase, 1859.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
le caucase

914, pénétrer dans le Tabaristan en 983, battre les Ossètes et les Tcherkesses en 967 et laisser une garnison à Taman.

En 1064, Rostislaw Wladimirowich se fait de cette île une principauté souveraine.

Pendant que les Russes s’avancent, marchant du nord au midi, les Turcs arrivent venant du midi au nord. Ce sont les Seldjoukides, sortis des steppes du Turkestan. Ils sont commandés par Orslan, neveu de Toguel-Bey, qui vient de mourir à Bagdad, dont il s’est rendu maître. Il s’empare de l’Asie Mineure, de l’Arménie et de la Géorgie.

La masse granitique du Caucase les sépare encore des Russes. Quand les deux géants se seront pris corps à corps, Hercule et Antée ne se lâcheront plus. Il est probable que la Russie est Hercule et que la Turquie sera Antée.

Par bonheur pour la Géorgie, un de ses plus grands rois monte sur le trône ; c’est David III, dit le Sage. Il oppose barbares à barbares, pousse les Khasars contre les Turcs, et, après avoir délivré son pays, il laisse le trône à Démetrius Ier, qui dévaste la ville de Derbent et lui enlève ses portes de fer qu’il dépose dans le monastère de Gelatz où nous en voyons une encore aujourd’hui.

L’autre a été enlevée par les Turcs.

Enfin, de 1184 à 1212, règne la reine Tamara. C’est la grande époque géorgienne. L’illustre amazone, dont le nom est resté populaire sur les deux versants du Caucase, bat les Arméniens, les Turcs et les Persans, soumet les montagnards que nul n’a soumis avant elle, que nul ne soumettra probablement après elle, les baptise bon gré mal gré, et finit par se marier avec le prince russe, fils d’André Bagaloubski.

À peine est-elle déposée dans ce glorieux tombeau que chantent encore aujourd’hui les poëtes géorgiens, qu’on entend un grand bruit du côté de l’orient. Ce sont les Mogols de Tchingis-Khan, lequel, après avoir conquis la Chine septentrionale et la Perse orientale, vient borner sa course à Tauris dans l’Iran. Les dernières vagues de cette grande invasion battent la Géorgie, mais sans la submerger.

Il n’en est point de même de Timour-Lang, son descendant par les femmes ; après avoir soumis toute l’Asie à l’est de la mer Caspienne, envahi la Perse, remonté jusqu’aux steppes des Kirghis, il traverse le Daguestan et la Géorgie, longeant les deux bases du Caucase qui semblent un large écueil écartant des vagues de barbares.

Mais il ne fait que passer. Il est vrai que sur son passage il a tout ravagé, comme eût fait un torrent ou un incendie ; il va détruire Azow. Puis il part pour l’Inde, livre la bataille de Delhy, remplit l’Indoustan de sang et de ruines, revient vaincre et faire prisonnier Bajazet à Ancyre, se retourne vers la Chine qu’il veut conquérir à la tête d’une armée de 200,000 hommes, et meurt en chemin à Otzar, sur le Sihong.

Pendant ce temps, Alexandre Ier divise la Géorgie entre ses fils, et commence le deuxième royaume d’Imérétie.

Un grand événement vient de s’accomplir.

La vieille Byzance, ravagée et détruite sous Septime Sévère, rebâtie et restaurée sous Constantin qui lui donne son nom, — seconde capitale du monde sous les empereurs romains, — première capitale d’Orient sous les empereurs grecs, — assiégée inutilement par les Avares, par les Perses et par les Arabes, — rachetée des Varègues, — prise par les croisés qui y fondent l’empire latin, — reprise par Michel Paléologue, qui y rétablit l’empire grec, vient de tomber aux mains d’un nouveau maître.

Mahomet II s’en empare en 1453 et en fait la capitale de l’empire ottoman.

TROISIÈME PÉRIODE
De Mahomet II à Chamyll.

Les populations du Caucase, ayant en tête les Colchidiens, envoient au vainqueur des députations pour le féliciter.

Les Arméniens obtiennent de lui que leur patriarche aura un trône à Constantinople.

De leur côté, les populations chrétiennes se rattachent aux puissances chrétiennes. Le roi de Kakhétie, Alexandre, envoie une ambassade à Ivan III, qui est occupé à chasser les Tatares de la Russie.

C’est que les populations chrétiennes du Caucase sont menacées, non-seulement par les Turcs, ce nouvel ennemi qu’elles ont déjà entrevu, mais par leur vieil ennemi, les Perses.

Ismaël Sofi, premier des shahs de Perse de la dynastie des Sefides, a pris le Chirvan et la Géorgie.

C’est sans doute ce qui détermine les habitants de la montagne de Bectar, près de Petitgorsk, à se rendre à Ivan le Terrible, qui vient de prendre Kazan, l’année précédente, c’est-à-dire en 1552. Trois ans après, Ivan le Terrible épouse Marie, fille de Temrouk, prince tcherkesse.

Rien d’étonnant dès lors à ce que les Russes fondent sur la mer Caspienne, au pied des montagnes du Caucase, la forteresse de Tarki.

De leur côté, Perses et Turcs, au lieu de se détruire, comme l’avaient un instant espéré les populations chrétiennes du Caucase, se partagent la plaine et la montagne. Les Perses prennent Schumaka, Bakou, Derbent, avec lesquelles ils communiquent par le littoral de la mer Caspienne.

Les Turcs prennent Tiflis, l’Iméritie, la Colchide et fondent Poti et Redoute-Kaleh.

Noyé dans ce débordement, le roi de Kakhétie, Alexandre II, demande l’amitié de Fœdor Ivanowich, ce pauvre tzar d’un instant, qui s’en va mourant de la fièvre, aux mains de son terrible tuteur, Boris Godéonoff.

Mais pendant ce temps, s’accomplissait en Perse une révolution dont la Géorgie allait éprouver le contre-coup. Schah Abbas qui régnait sur la province du Khorassan, s’empare du trône de Perse dont il renverse son père, tue ses deux frères, apparaît au pied du Caucase, chasse les Turcs de Tiflis, s’établit à leur place, et revient mourir à Ispahan dont il a fait la capitale de son empire.

Il va sans dire qu’un homme qui a détrôné son père et tué ses deux frères, a mérité un titre à part. L’histoire le nomme Schah Abbas le Grand.

Sur l’autre versant du Caucase, les Russes poursuivent leur œuvre. Boutourline et Pleinhieff font des excursions dans les propriétés du chamkal, c’est-à-dire sur les terres qui s’étendent de Temirkhan-Choura à Tarki, et le roi de Kartli, Georges, commence à payer l’impôt à Boris Godéonoff.

Vers le même temps Schah Abbas, pour mériter de plus en plus son titre de grand, dévaste la Kakhétie à ce point que son roi, Teymouras Ier, prie le tzar Mikaël Fœderowich, le premier Romanow régnant, de l’aider contre les Perses.

On sait en politique quelles sont les suites d’une pareille demande. Vingt uns plus tard, la Kakhétie était une province de l’empire de Mikaël Fœderowich, avec permission de garder ses souverains.

Georges III, roi d’Iméritie, Mania II, possesseur de la Gourie et le Dadian de Mingrélie, font avec la Russie le même traité.

Alors Alexis Mikaëlowich comprend que la chose vaut la peine de s’en occuper. Il vient à Koutaïs [1] et y reçoit la soumission de ses nouveaux alliés. C’est le titre que l’on donne à ces rois vassaux.

À son tour, Teymouras, roi de Kakhétie, voyage en Russie. Il y est reçu en roi. Le passage du Darial devient une grande route. Par cette grande route, les Arméniens reçoivent la permission de faire passer en Russie leurs soies et les soies des Perses.

L’exemple est suivi par Pierre le Grand, qui veut ajouter deux mers à son empire. Moussine Pouschkine reçoit de lui l’ordre d’établir des relations de commerce avec Derbent et Schumaka.

Cette mesure produit ses fruits. En 1718, le chamkal de Koumouck se met sous la protection de Pierre, et les maîtres du Karaback lui envoient une ambassade.

La Russie est à la porte de Derbent.

Trois ans après, le 23 août 1722, cette porte s’ouvre. Nous verrons dans la ville d’Alexandre, la petite maison qu’y a habité le vainqueur de Poltawa, et les canons qu’il y a transportés de sa fabrique de Woronèse.

Pierre revient par le Daguestan, et reconnaissant au Seigneur d’avoir atteint son but, il fonde entre les trois rivières, de Kouassou, du Soulak et d’Agrakan, une forteresse à laquelle il donne le nom de Sainte-Croix.

Il a laissé à Derbent un commandant des bords de la mer Caspienne ; l’année suivante, le général Mathuskine, — c’est le nom du commandant, — occupe Bakou.

À mesure que Pierre Ier s’avance au midi, les Turcs remontent vers le nord. — Tiflis, qu’ils avaient abandonné à Schah Abbas le Grand, est repris par eux, et le roi Wachtang VI, accompagné d’un grand nombre de Géorgiens, se réfugie en Russie.

C’est un exemple pour le prince de Kabarda, qui se met sous la protection de l’impératrice Anne Ivanowna.

Mais un grand homme reparaît dans la monarchie perse, en même temps qu’un grand homme a disparu dans la monarchie russe. — Un conducteur de chameaux se fait chef de brigands, s’empare à main armée du Korassan, à la faveur des troubles qui, en 1722, suivent la chute de Hussein ; entre avec sa bande au service de Thamasp, fils de Hussein ; enlève Ispahan ; se popularise par ses victoires ; prend le nom de Thamasp Kouli Khan, c’est-à-dire de chef des serviteurs de Thamasp ; dépose ce prince, le remplace par son fils, âgé de huit mois, qui ne tarde pas à mourir, se fait proclamer empereur sous le nom de Nadir Schah ; reprend Bakou et Derbent ; chasse les Turcs de la Kakhétie et de Kartly ; reconquiert Tiflis et Erivan ; traverse en vainqueur le Daguestan ; punit Derbent.

  1. Ce voyage est contesté par quelques historiens.