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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

plus attentivement, il l’avait reconnu pour le commandant auquel mon père avait eu affaire.

Il jugea donc à propos de couper court à la conversation en disant :

— Mais, général, vous ne reconnaissez donc pas monsieur ?

— Ma foi, non, dit mon père.

— C’est que ce commandant…

— Eh bien ?…

Dermoncourt fit un signe à l’officier ; comme pour lui dire que c’était à lui de continuer la conversation.

L’officier comprit ;

— C’est que ce commandant, c’était moi, général, dit-il en riant.

— Vraiment !

— Mais vous n’avez donc pas vu monsieur ? demanda Dermoncourt à mon père.

— Ma foi, non, dit celui-ci ; j’étais monté ce jour-là et furieux de ne pas pouvoir me donner un coup de sabre avec celui qui m’avait provoqué.

— Eh bien, celui qui vous a provoqué, général, dit le commandant, c’est moi. J’étais bien résolu, cependant ; mais, lorsque je vous vis marcher sur moi, je me rappelai la façon dont je vous avais vu travailler, et le cœur me manqua. Voilà ce que j’avais besoin de vous dire à vous-même, général, et voilà pourquoi j’ai demandé une permission pour venir apporter l’argent et les effets de mes officiers. Je voulais voir de près un homme pour lequel j’ai une si grande admiration, que j’ose lui dire en face : « Général, j’ai eu peur de vous, et j’ai refusé le combat que je vous avais offert. »

Mon père lui tendit la main.

— Ma foi, s’il en est ainsi, commandant, ne parlons plus de cela ; j’aime mieux maintenant que notre connaissance se soit faite à table qu’ailleurs. À votre santé, commandant.

On but, et la conversation passa à un autre sujet.

Cette conversation eut encore pour objet mon père et son beau fait d’armes de Clausen ; les trois officiers avaient entendu raconter l’affaire du pont ; on avait cru mon père tué ; car,