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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

devant lui pour les interroger, il fut tout étonné de les voir rougir, se détourner, balbutier comme des jeunes filles honteuses. Enfin, pressé par les instances du général en chef, qui, entendant toujours parler des malheurs arrivés aux captifs, voulait absolument savoir quels étaient ces malheurs, un vieux soldat lui raconta en pleurant de colère qu’il lui était arrivé, à lui et à ses compagnons, ce qui serait arrivé aux anges du Seigneur, entre Sodome et Gomorrhe, si ceux-ci, qui avaient sur nos grenadiers l’avantage d’avoir des ailes, n’étaient pas remontés au ciel sans perdre un instant.

— Imbécile ! dit Bonaparte en haussant les épaules, te voilà bien malade… Allons, allons ! remercie le ciel d’en être quitte à si bon marché, et ne pleure plus.

Le malheur des prisonniers fit grand bruit dans l’armée et ne servit pas peu à maintenir la discipline, qu’il eût été plus difficile de faire observer si les soldats n’eussent eu à craindre que d’avoir la tête coupée.

Bonaparte resta sept jours à Alexandrie.

Le premier jour, il passa en revue l’armée.

Le second jour, il donna l’ordre à l’amiral Brueys de faire entrer la flotte dans le vieux port d’Alexandrie ou de la conduire à Corfou.

Le troisième jour, il fit sa proclamation aux habitants et donna l’ordre à Desaix de marcher sur le Caire.

Le quatrième jour, il fit graver sur la colonne de Pompée les noms des hommes tués devant Alexandrie, et fit enterrer leurs corps au pied de ce monument.

Le cinquième jour, le général Dugua s’empara d’Aboukir.

Le sixième jour, on prit Rosette, et, tandis qu’on organisait le flottille, l’armée se mit en marche sur le Caire.

Desaix, parti le premier, fut le premier atteint par le découragement. — Je cite Desaix, parce que le dévouement de Desaix à Bonaparte est inattaquable.

Eh bien, le 15 juillet, Desaix écrivait à Bonaparte, du Bakahireh :

« De grâce, ne nous laissez pas dans cette position ! la troupe