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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

hardiment que ne l’eût fait le véritable héritier de la couronne.

» Deux incidents qui dussent dû perdre nos aventuriers contribuèrent, au contraire, à augmenter le crédit dont ils jouissaient.

« D’abord, l’archevêque d’Otrante connaissait personnellement le prince François. L’archevêque d’Otrante, prévenu par Girunda, reçut la fausse altesse royale comme il eût reçu le vrai prince, et, pour Otrante, tout fut dit.

» Ensuite, pendant sort séjour à Tarente ; les deux vieilles princesses, tantes de Louis XVI, qui venaient de Naples et qui allaient en Sicile, poussées par le gros temps, vinrent relâcher dans le port. Elles apprirent que leur parent était là, et demandèrent naturellement à le voir. Force fut au faux prince de se présenter à ses prétendues tantes ; mais les deux vieilles princesses, ayant appris dans quel but Corbara jouait ce personnage, et songeant au bien qui ressortait pour le parti bourbonien de cette comédie, prêtèrent les mains au mensonge et contribuèrent même, par les démonstrations qu’elles donnèrent de leur amitié au prétendu petit-fils de Louis XIV, à le populariser dans l’esprit des Calabrais[1].

» Voilà quel était l’homme qui disposait de notre destinée et qui nous déclarait prisonniers de guerre.

  1. Cette assertion serait presque incroyable, si on ne la trouvait reproduite dans les mêmes termes, à peu près, sous la plume du général Coletta.
    xxxx « Ces imposteurs se dirigèrent vers la ville de Tarente ; mais, lorsqu’ils y furent arrivés, ils virent aborder le vaisseau qui portait de Naples en Sicile les vieilles princesses de France. Nos aventuriers ne se déconcertèrent point, et Corbara, s’étant fait précéder par un message qui révélait aux princesses les effets merveilleux de la crédulité du peuple, se rendit, avec une pompe royale et l’assurance d’un parent, auprès de ces dames. Les princesses, malgré la fierté naturelle à la race des Bourbons, accueillirent en petit-fils cet aventurier obscur, et, croyant servir ainsi la cause du roi, lui donnèrent le titre d’altesse et lui prodiguèrent des témoignages de respect et d’affection. » (Histoire de Naples de 1734 à 1825, par Coletta.)