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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ger, les deux endroits que je fréquentais sans doute avec le plus de sympathie.

Je n’ai pas revu ce château depuis 1805, et cependant je puis dire que l’on descendait dans cette cuisine par une marche ; qu’un gros bloc était en face de la porte ; que la table de cuisine venait immédiatement après lui ; qu’en face de cette table de cuisine, à gauche, était la cheminée, cheminée immense, à l’intérieur de laquelle était presque toujours le fusil favori de mon père, monté en argent, avec un coussinet de maroquin vert à la crosse, fusil auquel on me défendait, sous les peines les plus sévères, de toucher jamais, et auquel je touchais éternellement, sans qu’une seule fois ma bonne mère ait, malgré ses terreurs, réalisé aucune de ses menaces à mon endroit.

Enfin, au delà de la cheminée, était la salle à manger, à laquelle on montait par trois marches ; qui était parquetée en sapin, et lambrissée de bois peint en gris.

Quant aux commensaux de cette maison, à part mon père et ma mère, ils se composaient, et je les classe ici selon l’importance qu’ils avaient prise dans mon esprit ; — ils se composaient :

1° D’un gros chien noir nommé Truffe, qui avait le privilège d’être bien venu partout, attendu que j’en avais fait ma monture ordinaire ;

2° D’un jardinier nommé Pierre, qui faisait pour moi, dans le jardin, provision de grenouilles et de couleuvres ; sorte d’animaux dont j’étais fort curieux ;

3° D’un nègre, valet de chambre de mon père, nommé Hippolyte, espèce de Jocrisse noir, dont les naïvetés étaient passées en proverbe, et que mon père gardait, je crois, pour compléter une série d’anecdotes qu’il eût pu opposer avec avantage aux jeannoteries de Brunet ;

4° D’un garde nommé Mocquet, pour lequel j’avais une profonde admiration, attendu que, tous les soirs, il avait à raconter de magnifiques histoires sur son adresse, histoires qui s’interrompaient aussitôt que paraissait le général, le général n’ayant point de cette adresse une idée aussi haute que le narrateur ;