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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

à n’aller me coucher que le plus tard possible, c’est-à-dire quand ma mère allait se coucher elle-même.

Cette faveur me fut facilement accordée.

Mais, les mêmes prétentions s’étant renouvelées le lendemain, le surlendemain et les jours suivants, force me fut de donner une explication.

Je racontai l’histoire du prisonnier d’Amiens, et j’avouai que, si j’allais me coucher avant les autres, j’aurais peur d’être dévoré par un serpent.

L’aveu surprit fort ma mère. J’avais été assez brave jusque-là. Elle fit tout ce qu’elle put pour combattre cette terreur par le raisonnement ; mais le raisonnement échoua devant l’instinct, et le temps seul parvint, je ne dirai pas à effacer, mais à atténuer chez moi l’effet de ce terrible souvenir.

Après la maison de madame Darcourt, à laquelle je ne dis point un éternel adieu, les deux maisons qui furent les plus hospitalières à notre malheur, je le répète, furent les maisons de M. Deviolaine et de M. Collard.

M. Deviolaine était notre cousin par alliance ; il avait épousé une nièce de mon grand-père qui avait été élevée chez nous, à côté de ma mère, étant orpheline ; de plus, il avait été fort lié avec mon père.

M. Deviolaine était inspecteur de la forêt de Villers-Cotterets ; ce qui lui donnait une des premières positions dans notre petite ville, et c’est, tout simple, puisque notre petite ville n’avait que deux mille quatre cents âmes, tandis que notre forêt avait cinquante mille arpents. M. Deviolaine était à mes yeux une grande puissance, non point par le motif que je viens de déduire, mais parce que, en vertu de sa position, c’était lui qui donnait la permission de chasser dans la forêt, et que chasser un jour librement dans cette forêt était une des ambitions de mon enfance.

Cette ambition, comme quelques-unes de mes autres ambitions, s’est réalisée depuis ; et, je dois le dire, c’est une de celles où j’ai trouvé le moins de désappointement.

Relativement au petit appartement auquel nous étions restreints depuis la mort de mon père, la maison de M. Devio-