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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

sifs et sa petite rivière, verte comme un collier d’émeraudes, se tordant au milieu de tout cela !

Aussi, dans mon égoïsme d’enfant, celle des trois maisons que je préférais, c’était celle de M. Collard. La maison Darcourt avait un bien beau Buffon  ; mais elle n’avait pas de jardin. La maison Deviolaine avait un bien beau, et même deux bien beaux jardins ; mais M. Deviolaine avait une terrible figure, tandis que M. Collard avait beau jardin, bon visage, et, en outre, une Bible magnifique.

C’est dans cette Bible que j’ai appris mon histoire sacrée, encore aujourd’hui si présente à ma mémoire, que je ne crois pas avoir eu besoin de la relire depuis.

J’ai parlé de deux grandes terreurs déjà éprouvées dans ma vie. La troisième date de Villers-Hellon.

Un soir que j’étais, selon mon habitude, occupé à feuilleter les gravures de ma belle Bible, — j’avais quatre ou cinq ans à cette époque, — nous entendîmes s’arrêter une voiture devant le perron, puis pousser de grands cris dans la salle à manger. Chacun se précipitait vers la porte, lorsqu’elle s’ouvrit, et donna passage à la plus étrange Meg Merrilies que l’imagination d’un Walter Scott quelconque ait jamais pu inventer.

Cette sorcière, — et, au premier aspect, l’être qui nous apparaissait avait tout droit de réclamer ce nom ; — cette sorcière était vêtue de noir, et, comme elle avait perdu son bonnet, son tour de faux cheveux avait profité de la liberté qui lui était offerte pour s’envoler, de sorte que ses véritables cheveux tombaient grisonnants de chaque côté de son visage, et s’allongeaient flottants sur ses épaules.

Cette fois, c’était bien autre chose que le fameux serpent d’Amiens et les deux couleuvres de Saint-Remy ; d’ailleurs, le serpent d’Amiens, je ne l’avais jamais vu qu’avec les yeux de l’imagination ; les deux couleuvres de Saint-Remy, j’avais de l’espace pour leur échapper ; mais la sorcière, je la voyais avec les yeux du corps, et nous nous trouvions dans le même salon.

Je jetai ma Bible, et, profitant du tumulte qu’occasionnait