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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La messe finie, l’organiste sortit, promettant à Hiraux de ne rien dire au prieur de sa nouvel le fredaine. Hiraux comprenait que celle-ci dépassait toutes les autres et touchait au sacrilège ; de sorte que, resté seul, il accomplit de son mieux la besogne dont il s’était chargé, besogne que Fourier, dans sa distribution passionnelle, réserve aux enfants, qui, à son avis, devront s’en occuper passionnellement.

Qu’il l’eût faite passionnellement ou à contre-cœur, la besogne d’Hiraux était achevée, lorsque l’organiste, — on eût dit qu’il guettait ce moment, — lorsque l’organiste entra, suivi du frère cuisinier et de ses marmitons.

Il était allé quérir ses alliés naturels, c’est-à-dire les ennemis-nés d’Hiraux.

Au début des hostilités, — et les hostilités commencèrent dès que la porte de la tribune fut fermée, — Hiraux crut qu’il s’agissait d’être fouetté comme la première fois. Mais ce qui l’empêchait de s’arrêter à cette idée, c’est que les verges manquaient. Or, par pressentiment, l’absence de ces verges le préoccupait plus que n’eût fait leur présence.

En effet, il ne s’agissait plus de fouetter Hiraux, mais de le souiller.

L’opération s’accomplit à l’aide du soufflet de l’orgue.

Cette fois, Hiraux ne faillit point devenir aveugle, Hiraux faillit tout bonnement mourir. Mis en liberté aussitôt l’opération terminée, il avait fui aussi loin qu’il avait pu le couvent maudit, ayant plus l’air d’un ballon que d’une créature humaine ; puis il était tombé, ou plutôt il avait roulé au pied d’un arbre.

Il fut plus de quinze jours à désenfler complètement..

Ce fut à la suite de ce petit événement que Hiraux se fit garçon épicier.

Mais nul ne peut fuir sa destinée : Hiraux était musicien dans l’âme. Hiraux accrocha un vieux violon et, dans ses moments perdus, racla obstinément. L’épicière, jeune femme incomprise, — il y a eu des femmes incomprises de tout temps, — l’épicière jouait de l’épinette. Hiraux et l’épicière faisaient, le soir, des concerts qui ravissaient l’épicier ; si bien que,