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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

douze armées et commençait de marcher à la conquête de l’Europe un an après.

Ce fut une grande faute à Frédéric-Guillaume et à Léopold que de déclarer la guerre à la Révolution ; s’ils se fussent contentés de tendre une espèce de cordon sanitaire autour de la France, de l’envelopper d’une ceinture armée, la France se fût probablement dévorée elle-même. Le volcan qui faisait éruption eût tout renfermé, flammes et laves, dans ce sombre et profond cratère que l’on appelait Paris, et où bouillonnaient des journées comme les 5 et 6 octobre, comme le 20 juin, comme le 10 août, comme les 2 et 3 septembre, comme le 21 janvier. Mais ils crevèrent la montagne de deux coups d’épée, et la Révolution, à qui on ouvrait une voie, se répandit sur le monde.

À tout moment, on voyait arriver à l’armée quelque nouveau régiment, dont on ne soupçonnait pas l’existence, qui n’était porté sur aucun cadre.

Créé de la veille, tout incomplet encore, il marchait à l’ennemi.

Saint-Georges avait été nommé colonel de la légion franche de cavalerie des Américains du Midi.

Boyer, de son côté, venait de lever le régiment des hussards de la Liberté et de l’Égalité.

Tous deux connaissaient mon père, tous deux le voulurent avoir sous leurs ordres.

Saint-Georges le prit d’abord comme sous-lieutenant, le 1er septembre 1792.

Boyer le prit comme lieutenant le lendemain.

Enfin, Saint-Georges, qui à tout prix voulait le garder, le fit nommer lieutenant-colonel le 10 janvier 1793.

Placé en réalité à la tête du régiment, — car Saint-Georges, peu friand du feu, était resté à Lille sous prétexte de veiller à l’organisation de sa troupe ; — placé à la tête du régiment, disons-nous, mon père vit rouvrir devant son courage et devant son intelligence un plus vaste champ. Les escadrons de guerre disciplinés par lui furent cités pour leur patriotisme et leur belle tenue. Toujours au feu, il se passa peu d’affaires au camp