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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

montagnes et qui n’avaient jamais reculé que devant l’impossible ; maintenant, c’était l’impossible qu’il fallait vaincre : il fallait que les soldats passassent là où jamais montagnard n’avait passé ; il fallait que le pied de l’homme foulât une neige qui ne connaissait encore que le sabot du chamois ou la serre de l’aigle.

Mon père fit faire trois mille crampons de fer qu’il distribua à ses soldats et avec lesquels ils s’étudièrent à passer dans les endroits les plus difficiles.

Le printemps arriva, et avec lui la possibilité d’agir ; mais, de leur côté, les Piémontais s’étaient mis sur une terrible défensive. Le mont Cenis, le Valaisan et le petit Saint-Bernard étaient hérissés de canons. Mon père décida que l’on commencerait par s’emparer de Saint-Bernard et du Valaisan.

Les ennemis qu’il fallait atteindre bivaquaient au delà des nues. C’était une guerre de titans : le ciel à escalader.

Dans la soirée du 24 avril, le général Bagdelaune reçut l’ordre de gravir le petit Saint-Bernard, afin de se trouver au point du jour prêt à l’attaquer.

Mon père s’était réservé le mont Valaisan.

Le général Bagdelaune se mit en marche à neuf heures du soir ; pendant dix heures, il marcha dans des précipices sans suivre aucun chemin frayé, et sur la foi des guides, qui plus d’une fois, trompés eux-mêmes par l’obscurité, égarèrent nos soldats ; enfin, à la pointe du jour, il parvient à la redoute, l’attaque avec le courage et l’impétuosité dont les hommes qu’il commande ont déjà tant de fois donné des preuves ; mais la redoute est terrible, la montagne semble un volcan enflammé, trois fois Bagdelaune ramène à la charge ses soldats repoussés trois fois ; tout à coup, les bouches des canons d’une redoute avancée, dont mon père vient de s’emparer, changent de direction ; une pluie de boulets écrase les défenseurs du Saint-Bernard ; mon père a réussi le premier dans son entreprise, c’est lui qui a tourné contre les Piémontais leurs propres canons. Le mont Valaisan, qui devait protéger le Saint-Bernard, le foudroie. Les Français, reconnaissant le secours inattendu qui leur arrive, s’élancent une quatrième fois. Les